L’Opéra de Saint-Étienne fait honneur à la musique française
Apportant sa pierre à l'édifice des commémorations dans le cadre de l'année Hector Berlioz (mort il y a 150 ans), sa bien nommée Symphonie fantastique est introduite par une œuvre relativement peu connue (Scènes alsaciennes) d’un enfant du pays stéphanois, Jules Massenet (1842-1912), avant le monologue dramatique Ariadne Theseo de Franck Villard (né en 1966), dont la version symphonique était restée inédite jusqu’à son interprétation ce soir, en présence du compositeur. Ce programme a le grand mérite de se montrer tout aussi cohérent que diversifié et mettant en avant des valeurs de l’Opéra de Saint-Étienne (création, ancrage local, défense du répertoire). Malgré les différences d’époques, d’inspirations et de personnalités des compositeurs, la cohérence esthétique du programme s'appuie sur un foisonnement commun des émotions, profondément sensibles à la Nature et à l’Amour.
Le jeune chef Victorien Vanoosten encourage l’Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire à jouer avec davantage de ferveur. Celle-ci fait un peu défaut malgré les gestes engagés et la direction souvent très ample : les cordes particulièrement se montrent prudentes alors qu’elles auraient gagné à être plus amples et plus tranchantes. Le contraste est d’autant plus flagrant avec des cuivres épanouis qui n’hésitent pas à prendre le risque de créer des sons très granuleux et volontairement sales lors de La Marche au supplice de Berlioz, effet sans doute exagéré même dans ce contexte. L’amplitude des gestes de Vanoosten amoindrit en outre la précision, surtout entre cordes et vents. Néanmoins, les forces musicales ne manquent pas de saveurs, notamment dans ses pianissimi aussi tendres que colorés, mélancoliques et printaniers.
De sa voix riche et profonde, la mezzo-soprano Marie Kalinine défend avec force et présence l’expressivité du texte épistolaire lyrique mis en musique par Franck Villard : Ariadne Theseo (lettre d’Ariane à Thésée), dans un latin inspiré de la dixième Héroïde du poète Ovide, qui résonne avec l'italien Lamento d’Arianna (Claudio Monteverdi). Ici aussi, encore et toujours, depuis l'Antiquité jusqu'à la création contemporaine en passant par celle de l'opéra, Ariane se lamente du douloureux abandon de Thésée (jusqu’à sembler même ressusciter une langue que l’on dit morte). Marie Kalinine ne dispose certes pas encore de l’ampleur sonore qui lui permettrait d'assumer l'immensité de couleurs orchestrales (Straussiennes) auxquelles cette mélodie fait penser, et (comme Ariane appelle les monstres marins à la dévorer et les flots à l'engloutir), sa voix se laisse dévorer par l’orchestre dans les passages aux dynamiques les plus intenses. Sa prosodie soignée est néanmoins magnifiée de sens lors d'Ergo ego moritura (Vouée à la mort), où elle est accompagnée avec justesse et délicatesse.
Le public stéphanois applaudit longuement les artistes de ce beau concert en honneur à la musique française, assurément intense en émotions, parfois aériennes ou terrifiantes, toujours passionnées et grandioses.