La Saint-Jean à Saint-Roch, une passion qui a du chien
Tel le compagnon fidèle de Saint Roch (son fameux chien), Jean-Sébastien Bach est indissociable de Vox Luminis et Café Zimmermann depuis leurs débuts. L’ensemble vocal et l’orchestre baroque conjuguent à nouveau leurs forces dans une interprétation au climat épuré et à la poésie dense mais discrète de ce monument de la musique occidentale. Plus de deux heures de musique pour une œuvre de saison servie par deux ensembles aux effectifs réduits mais qui n'en révèlent pas moins sa symbolique théologique. Quelques cordes, un orgue, deux hautbois, deux flûtes, un basson, un théorbe et une viole de gambe suffisent à Café Zimmermann pour permettre à chacun des timbres de libérer son potentiel et d’atteindre une justesse expressive prenante. Pas de théâtralisation excessive dans l’introduction plaintive des hautbois de l’air d’alto Von den Stricken meiner Sünden (Pour me délier) ou dans l’accompagnement par la viole de gambe du fameux Es ist vollbracht (C'est accompli) mais une sobriété alliée à une maîtrise technique qui force le respect. Un subtil alliage des timbres, une homogénéité appréciée par sa justesse, le tout sans chef d’orchestre mais sous les regards attentifs du Konzertmeister et premier violon Pablo Valetti et de l’organiste Céline Frisch.
L’Ensemble vocal Vox Luminis est lui aussi au diapason de cette interprétation sans esbroufe. Préparé par Lionel Meunier, c’est d’abord sa grande homogénéité et sa justesse qui sautent aux oreilles. Chacune des seize voix qui compose le chœur se trouve ainsi fondue et mue par une forme d’intelligence vocale supérieure à la somme de ses parties. Finesse des attaques, projections des consonnes, équilibre des lectures harmonique et contrapuntique mais aussi expression tempérée et dépouillée, Vox Luminis possède le bagage technique et musical sans lequel la musique de Bach peut parfois devenir inintelligible. Les parties solistes de cette Saint Jeansont interprétées par des artistes du chœur. Pierre est servi par la voix claire et dense du baryton Sebastian Myrus. Son interprétation des airs de basse laisse entendre une belle longueur de souffle, une homogénéité égale sur toute la tessiture et d'amples notes graves. Le baryton-basse de Geoffroy Buffière, large, sombre et à la facilité hautement travaillée ferait presque regretter que Bach n’ait pas donné plus de place à Pilate pour s’exprimer. Raffaele Giordani interprète les airs de ténor d’une voix puissante au timbre cuivré à laquelle manque parfois un semblant de légèreté, apporté par le timbre flûté de Caroline Weynants dans le premier air de soprano Ich folge dir gleichfalls (Je te suis, moi aussi). Alex Chance s’empare lui des airs d’alto avec toute la jeunesse de son contre-ténor à délier davantage dans les vocalises mais dont le sens des nuances et l’homogénéité de sa voix font du Es ist vollbracht un moment d’intense recueillement.
Enfin, qui dit Passion de Bach, dit Évangéliste. Le ténor Raphael Höhn vient prêter sa voix lumineuse à Vox Luminis et Café Zimmermann pour incarner le témoin du Chemin de croix. Ses interventions s’inscrivent dans la lignée interprétative des deux ensembles. Sobriété, maîtrise technique et réalisation sans surenchère vocale des formes figuratives extrêmement modernes de ses récits conduisent l’auditeur vers un repos éternel, sans heurt ni tourment.
Un profond silence conclut cette sobre passion au charisme certain avant que le public ne manifeste avec ardeur sa joie d’avoir gravi, avec mesure et intégrité, cet Everest musical.