L'Athénée au cœur de la Petite Colline de George Benjamin
Il s'agit de la première œuvre opératique du compositeur britannique, créée en 2006 lors du Festival d’Automne avec le dramaturge Martin Crimp qui rédigea le livret (leur troisième projet, Lessons in Love and Violence arrive au mois de mai à Lyon -réservations). Crimp y revisite le conte populaire allemand Le Joueur de flûte de Hamelin dans lequel le bourgmestre de la ville fait appel à un flûtiste pour sauver son peuple qui meurt de faim à cause de la prolifération des rats et lui promet une fortune en retour. La musique de la flûte mène les rats vers la rivière où ils se noient. Bien que la ville soit désormais débarrassée des rongeurs, le bourgmestre refuse de payer le musicien, qui se venge à son tour en emmenant à jamais tous les enfants de la ville avec lui dans la forêt. Cette légende médiévale datant du XIIIème siècle garde une inscription sur l’église de Hamelin indiquant que 130 enfants ont été séduits et emmenés « dans » la petite colline des alentours, d’où le titre de l’opéra de Benjamin.
La version de Crimp remplace le bourgmestre par un Ministre, le flûtiste est une créature fantastique aux allures humaine mais sans yeux, sans nez et sans oreilles et c’est la fille du Ministre qui finit au cœur de la petite colline. Les idées principales sont tout de même préservées et éclairées : la corruption, l’opportunisme, l’innocence enfantine et le pouvoir de la musique. Ce n’est donc pas un hasard si le metteur en scène Jacques Osinski choisit de commencer la soirée avec une pièce pour flûte solo de Benjamin (nommée Flight) dans l’obscurité totale : la musique est ainsi le centre d’attention et par sa force, plonge le spectateur dans le spectacle qui suit. Osinski opte pour une vision minimaliste, des vidéos (préparées par Yann Chapotel) étant projetées sur le tulle qui sépare deux mondes : le réel et le fantastique, la vie et la mort. Le sublime et l’effrayant se côtoient dans la scène du premier interlude (scène de la Mère et l’Enfant) lorsqu’une lanterne magique projette des ombres de rats devenant hommes. Cette assimilation entre rats et humains pointe la peur de l’Autre (migrants, étrangers), utilisée à des fins électoralistes. Finalement, les positions s’inversent : la fille du Ministre (emmenée par le flûtiste) se tient devant le voile de tulle, proche des spectateurs : comme tout citoyen (le public), elle est victime de la corruption.
La mezzo-soprano Camille Merckx et la soprano Élise Chauvin se confrontent au défi de la partition. Elles sont à la fois narratrices et incarnations de divers personnages (tantôt masculins, tantôt féminins) basculant du registre grave et plutôt parlé de la narration (discours indirect) vers les aigus chantés du discours direct. Le jeu d’acteur, statique, se réduit principalement aux expressions faciales, où Élise Chauvin manifeste aisance et conviction. Elle s’adapte musicalement aux différents rôles qu’elle interprète, de la voix tranchante qui appelle à l’extermination des rats, avec le chant expressif et enchanteur du flûtiste, jusqu’à l’effroi de la petite fille. Toutefois, son intonation est mal assurée dans les passages (notamment aigus) plus exigeants techniquement, avec un vibrato parfois haché. Sa collègue Camille Merckx est en revanche irréprochable rythmiquement et exprime une bonne entente avec l’orchestre. La complexité de l’écriture de Benjamin ne nuit pas à la justesse de son ton, ni à la prononciation du texte, qui est bien articulé et préparé. Malgré l’intensité de sa voix poitrine, elle peut cependant se montrer sèche en timbre, celui-ci manquant de noirceur et d’ampleur.
Le Directeur artistique des Lundis musicaux de l’Athénée et ancien assistant de George Benjamin sur Written on Skin (l'opéra intermédiaire de Benjamin/Crimp), Alphonse Cemin, tient la baguette de l’Ensemble Carabanchel. Sa direction est précise et fidèle aux souhaits du compositeur, présent dans la salle en ce soir de première. L’Orchestre, qui offre une grande richesse de couleurs (notamment avec le cor de basset, la clarinette basse, le banjo, la mandoline et le cymbalum), est au service du drame. Il ne s’impose ni ne recouvre les chanteurs et parvient à rendre audibles les lignes divergentes instrumentales dans l’atonalité de la partition.
Retrouvez notre interview de George Benjamin à l'aube de cette recréation française