Anna Bolena, grand classique servi sur un beau plateau vocal à Liège
Dans une interview à paraître sur nos pages, Stefano Mazzonis di Pralafera, Directeur de l’Opéra royal de Liège et metteur en scène de l’Anna Bolena actuellement présentée au public dans la maison wallonne, insiste sur son attachement au respect des œuvres et de leurs librettistes. De fait, Felice Romani, auteur du livret du chef d’œuvre de Donizetti, ne trouverait probablement rien à redire à cette production, qui respecte scrupuleusement les didascalies. Les riches décors de Gary McCann et les magnifiques costumes de Fernand Ruiz respectent l’époque et le lieu de l’action. Les changements de décors à vue dynamisent la scène mais génèrent du bruit qui pollue la musique (les techniciens, visibles lors de certains changements, régleront certainement leur positionnement lors des prochaines représentations). La direction d’acteurs, quoique statique, permet une réelle caractérisation des personnages.
Grande triomphatrice de la soirée pour sa prise du rôle-titre, Olga Peretyatko déploie un jeu fin et complexe (sa mine sadique lorsqu’elle maudit sa rivale ressort sur la pureté qu’elle représente jusque-là, et sa lutte intérieure entre rage et volonté de pardonner reste visible jusqu’à la dernière note), aidée par un port altier et une réelle appropriation de la musique, par des nuances et un rubato (prise de liberté rythmique) marqués mais toujours éloquents. Son timbre soyeux intensément vibré ne se heurte à aucune difficulté dans l’aigu et trouve des graves de braise. Un souffle riche lui permet de belles tenues de notes et un découpage précis des mélismes. Seuls ses récitatifs secs manquent d’entrain au début de l’ouvrage.
Son mari, Henri VIII, est tenu par Marko Mimica qui assume sa partition complexe d’une voix ample, au timbre lumineux : ses graves sont inquiétants et profonds, ses médiums autoritaires et ses aigus glorieux. Son phrasé acerbe et dédaigneux correspond bien au personnage : il appuie le legato lorsqu’il se fait manipulateur et fait claquer les consonnes occlusives lorsqu’il se montre violent. Le redoutable rôle de Seymour est interprété par Sofia Soloviy avec sincérité, même si l’ambiguïté du personnage (qui demande au Roi de l’épouser tout en refusant qu’il répudie sa femme) pourrait être dessinée avec plus de précision. Son médium capiteux au vibrato léger et rapide s’appuie sur de larges résonateurs. Ses aigus sont larges également mais souffrent régulièrement de stridences qui altèrent la ligne. Percy est confié à Celso Albelo, au timbre ombragé et aux aigus souples, maîtrisés et fortement projetés. S’il reste sur une nuance forte durant toute la première partie en ce jour de première, il nuance bien plus son chant dans la seconde, alternant la tendresse amoureuse et la fougue guerrière.
Francesca Ascioti peint un Smeton plus androgyne que travesti, à la présence scénique affirmée, et au timbre moelleux, homogène sur toute la tessiture, qui trouve même des couleurs sombres et émouvantes dans le grave. Le vibrato est réduit en fréquence et en amplitude. Lord Rochefort prend les traits de Luciano Montanaro qui atteint sans difficulté les graves abyssaux de sa partie, montre bien la noblesse du personnage, mais manque de volume et offre un timbre un peu lisse. Enfin, Maxime Melnik parvient à se mettre en valeur dans le petit rôle de Sir Hervey, par un timbre lumineux et une émission très directe, qui manque toutefois encore d’assise et de justesse, notamment du fait d’un vibrato trop présent.
Giampaolo Bisanti dirige l’Orchestre de l’Opéra avec vivacité, insistant sur les graves inquiétants des contrebasses et sur une caisse-claire martiale. Si les couleurs et les nuances sont bien dessinées, l’orchestre manque d’explosivité dans les attaques et les notes piquées. Malgré ses efforts et la précision de ses gestes (il abandonne quasiment l’orchestre lors des scènes mobilisant le chœur au complet), il peine à mettre les Chœurs d’accord sur une pulsation. Pourtant, en effectif plus réduit (et notamment lorsque le chœur de femme apparaît seul), la cohésion est meilleure et la douceur des timbres se fait plus apparente.
L’accueil du public est enthousiaste pour tous les protagonistes, preuve qu’il existe un public pour les mises en scènes classiques.