Jaroussky sublime Cavalli et Venise au Théâtre des Champs-Élysées
Le programme, en
deux parties, alternant symphonies, récitatifs et airs aux caractères variés, présente à
la fois un condensé de l’art prolifique de l’un des créateurs
de l’opéra vénitien mais aussi une plongée dans la vie musicale
de la cité des Doges durant la première moitié du XVIIème siècle.
Philippe Jaroussky a étudié les manuscrits de Francesco Cavalli pour assimiler son écriture et son esthétique. Ainsi, pour exprimer les rapides changements d’états d’âme des personnages incarnés et passer d’un affetto (affect) à un autre, il établit une relation étroite entre texte et musique, élaborant non pas des fioritures de virtuosité (qui triompheront plus tard avec les castrats et divas) mais un langage harmonique basé sur l’utilisation et la coloration de certains intervalles et retards. Les récits sont variés, les accompagnements diversifiés, l’harmonie, le rythme et les silences sont toujours au service du sens, de la surprise et de l’émotion. Tels les personnages de la commedia dell’arte, le chanteur change de masque en modulant et colorant sa voix intense, pure et homogène pour se mettre au service du texte. Celle-ci se teinte de mélancolie pour exprimer la plainte et le désespoir des nombreux lamenti (spécificité de Cavalli), accompagnés le plus souvent par le jeu subtil du théorbe et de la viole de gambe. En effet contrasté, la voix s’allège, presqu’en apesanteur avec une maîtrise du son filé pour exprimer notamment délicatesse et sensualité, délices et bonheurs. Elle prend des teintes cuivrées et lumineuses sur un ostinato aux allures de berceuse, devient plus éclatante lorsqu’elle dialogue et se fond avec les deux cornets à bouquins, rebondit au rythme des tambourins et des danses carnavalesques sur fond de basse obstinée.
C’est aussi un voyage dans la Venise du XVIIème qui est proposé dans ce programme et ceci, grâce au choix des instrumentations choisies par les musiciens de l’Ensemble Artaserse, constitué d’une douzaine d'artistes aguerris à la musique baroque. Les réminiscences des fastes musicaux de San Marco s’entendent notamment dans les sinfonie introductives pleines d’énergie (Cavalli y était chanteur), l’influence du maître Monteverdi, les bergamasques et romanesca endiablées, vives et sautillantes que l’on dansait en période de carnaval. L’orchestre déploie une palette de couleurs propre à l’école violonistique du nord de l’Italie.
La soirée se termine avec trois bis et quelques explications du contre-ténor, tout d’abord un air de Monteverdi Si dolce è il tormento afin de rappeler que Cavalli fut son élève. Il enchaîne avec le bref « Personne ne peut être plus heureux que moi », remercie ses musiciens (fort retardés par la panne d’électricité en gare de l’Est), et conclut avec un air de Cupidon qui tombe amoureux mais n’aime pas cela du tout !
S'il plaisante sur la voix angélique qu’on lui attribue depuis vingt ans, c’est bel et bien aux anges que le public ovationne l’artiste durant de longues minutes.