Triple anniversaire pour Semele de Haendel au Théâtre des Champs-Élysées
En ce mois d’avril 2019, Paris commémore le 260ème anniversaire de la mort de Georg Friedrich Haendel (disparu le 14 avril 1759) avec deux versions concertantes différentes de Semele, au Théâtre des Champs-Élysées et quelques jours plus tard à la Philharmonie de Paris (Sir John Eliot Gardiner dirigera ses Monteverdi Choir & English Baroque Soloists). L'œuvre fête aussi les 275 ans de sa création et les 15 ans de sa première parisienne dans la mise en scène de David McVicar et sous la direction de Marc Minkowski, dans ce même théâtre. La nouvelle Semele concertante offre ici aussi une théâtralité, notamment grâce à Brenda Rae qui avait déjà incarné le rôle-titre à l’Opéra de Seattle en 2015. Elle se distingue ainsi par son jeu pourtant mesuré, aux mouvements restreints. Après un premier acte vocalement dosé, elle déploie son chant en dévoilant sa virtuosité (maîtrise facile des mélismes) tout en s’appuyant sur une assise qui lui permet l’émission de sons avec une bouche quasiment fermée. Son timbre clair sait aussi se faire piano dans l'a cappella de la scène du sommeil, avant d'atteindre l'apogée de son succès pendant l’air I shall adore myself avec des bravoures vocales (dont certaines improvisées !) et une note aigüe chantée à pleine voix.
Non moins triomphante, Elizabeth DeShong livre une prestation pleine d’autorité vocale. Elle interprète à la fois la malheureuse Ino (sœur de Semele) et la menaçante déesse Junon, deux personnages divergents sur le plan musical et dramatique. En tant qu’Ino, DeShong se montre très expressive dans les airs d’amour (envers Athamas) et révèle son travail soigneux sur les détails (surtout les ornements). Sa Junon est plus sombre et adaptée à son registre mezzo grave. Son instrument vocal puissant dessinant les différents timbres, rôles et maîtrisant les passages techniques, elle domine ses homologues dans les duos, avec assurance et conviction. Hence, Iris hence away articulant chaque note et chaque mot reçoit des ovations méritées.
Benjamin Hulett montre la face à la fois humaine et divine de Jupiter. L’expressivité de son timbre rond s’exprime dans le lyrisme des airs lents, ainsi que lors de la lamentation de sa Semele bien-aimée qu’il est obligé d’anéantir. Il est doté d’une grande voix et d'un grand souffle, souverain dans le registre aigu. Le bémol tient cependant à sa moindre virtuosité dans les passages rapides, où sa voix devient quelque peu dure et tranchante.
Le contre-ténor Christopher Lowrey en Athamas rappelle qu'il est spécialiste du répertoire (il tiendra le rôle-titre de Jules César sur ces mêmes planches du TCE en septembre avec Les Talens Lyriques, et ira avant cela à Versailles pour La divisione del mondo). Dans une très grande entente avec l’orchestre, ses changements de nuances, dynamiques et de tempi préservent la précision rythmique. Sa grande étendue et souplesse vocale lui permet d’atteindre gracieusement les cimes et complexités vocales.
Iris tenue par Ailish Tynan introduit de petits moments comiques dans son jeu théâtral (elle sort un plan et un magazine), mais vocalement sérieuse, elle montre son aisance dans les aigus, sa justesse dans l’intonation et le rythme, ainsi qu’un phrasé poli dans les cadences. En outre, son anglais est très compréhensible grâce à une articulation soignée. Quant à Soloman Howard en Cadmus et Somnus, il s’impose sur scène avec une voix wagnérienne de basse profonde. Dans cette distribution, son volume corpulent et la profondeur de sa projection le singularisent par rapport aux autres. Il surpasse même l’orchestre à plusieurs reprises. Néanmoins, la voix diminue en voulant atteindre les notes les plus graves, il s'efface trop dans les duos et semble peu intéressé par le jeu d’acteur. Deux membres du Chœur interprètent les deux petits rôles qui ouvrent et ferment l’opéra : Joseph Beutel est Un prêtre à la voix projetée mais avec un vibrato forcé, alors que Brian Giebler, dans le rôle du dieu Apollon, annonce la prophétie par un récitatif, une voix chaude de ténor et une bonne prononciation.
L’Orchestre (The English Concert) et le chœur (The Clarion Choir) suivent les gestes précis du chef Harry Bicket et tissent le fond sonore de ce drame plein de musicalité et de nuances. Souvent dramatiques en complémentarité avec des solistes, les soprani du chœur se distinguent par la clarté de l’intonation et la finesse des détails. Le concert s’achève solennellement, tel un hymne haendelien avec les trompettes qui rejoignent l’orchestre depuis les coulisses.