Le Postillon de Lonjumeau pose son contre-ré à l’Opéra Comique
Il s’agissait ce samedi de la 570ème représentation du Postillon de Lonjumeau d’Adolphe Adam à l’Opéra Comique, où l’œuvre a été créée en 1836. Un véritable tube, donc, mais qui n’y avait plus été joué depuis 1894. Forcément, un tel succès ne peut émaner d’une œuvre sans intérêt musical et dramatique. Certes, la première partie souffre de quelques longueurs, mais cet opéra-comique (avec dialogues parlés, donc), notamment inspiré par Rossini (le « C’est la garde ! » semble une traduction directe du Barbier) offre en effet de belles pages, dès l’ouverture raffinée. Les chœurs, complexes dans leur agencement, font régner une ambiance « champagne », tandis que les airs, véritables tours de force conçus pour faire briller leurs interprètes, s’assurent que les bulles ne retombent pas. En effet, l’intrigue suit le postillon Chapelou, remarqué le jour de ses noces pour la qualité de son contre-ré, et qui quitte dès lors sa femme pour faire carrière à l’opéra.
Pour faire pétiller l’œuvre, le metteur en scène Michel Fau et le scénographe Emmanuel Charles conçoivent des décors faits de tableaux colorés, qui descendent des cintres dans un kitsch assumé, tout comme le grand gâteau de mariage sur lequel trône le couple central, souriant à l’excès, dans la scène d’ouverture. L’ensemble est rehaussé par les lumières (et les ombres) travaillées de Joël Fabing et les somptueux costumes de Christian Lacroix. Michel Fau donne de sa personne travestie, et exécute notamment un ballet burlesque qui réjouit le public (comme chacune de ses mimiques).
Michael Spyres, spécialiste des partitions inchantables, affronte le rôle de Chapelou dans un français impeccable (y compris dans les parties parlées) au début, mais dont la précision s’étiole au fil du spectacle. Les contre-ut et contre-ré (au timbre légèrement nasal) qui parsèment sa partition sont émis avec souplesse et une apparente facilité : une approximation le conduit même à monter plus haut encore. Ses graves sont également charmants et lumineux, les médiums bien couverts. Les registres restent homogènes, y compris lors de son passage en voix mixte et il exploite ici la totalité d’un ambitus (écart entre la note la plus grave et la plus aiguë) démesuré. Son vibrato est calme et de faible amplitude, tandis que sa longueur de souffle lui permet des nuances soignées comme le long messa di voce (variation de nuance sur une même note) de son premier air. Bref, l’œuvre lui offre matière à une véritable démonstration qui lui vaut une ovation lors des saluts.
Florie Valiquette (qui sera Sophie dans Werther au Capitole en juin) est une Madeleine mutine, qui reparaît dix ans plus tard (avec une caractérisation vocale bien différenciée) pour se venger sous le nom de Madame de Latour. Ses médiums sont rondement vibrés, ses aigus chantants et flûtés. Si elle semble manquer de coffre au cours du premier acte, surtout dans son duo avec Spyres dans lequel elle peine à ressortir, elle déploie une voix bien plus épanouie ensuite, offrant même elle aussi un véritable « one-vocal show », dans lequel les vocalises frétillent gracieusement.
Franck Leguérinel apporte tout son pouvoir comique et son phrasé expressif au très précieux Marquis de Corcy, dynamisant les parties parlées et le jeu d’arrière-plan. Dans les parties chantées, la ligne manque toutefois de stabilité. Laurent Kubla interprète le fourbe Biju aux talents de chanteur limités : il exagère donc son vibrato et altère son timbre et sa justesse, dans un jeu théâtral drolatique. Enfin, Julien Clément est son ami Bourdon, aux graves bien projetés.
Sébastien Rouland dirige l’Orchestre de l’Opéra de Rouen d’un geste minimaliste mais précis. L’entrée en matière est délicate et les flux et reflux qui amènent l’ouverture vers le forte sont conduits avec doigté. Les différentes ambiances sont clairement découpées et s’enchainent avec naturel. Le Chœur de l’Opéra de Rouen, associé à accentus sous la direction de Christophe Grapperon, se montre très en place malgré la difficulté de la partition, prenant sa part dans la théâtralité comique de l’œuvre.
Parce qu’une telle œuvre ne doit pas retomber aussitôt dans l’oubli, le coproducteur rouennais convoquera lui aussi ce Postillon la saison prochaine, avec une distribution renouvelée : à suivre !