Impressionnante Walkyrie en direct du Metropolitan Opera de New York
Dans la production de grande envergure du metteur en scène québécois
Robert Lepage, cette Walkyrie débute en introduisant en mouvement le
dispositif impressionnant qui sert pour l’ensemble du cycle :
un alignement de minces plateformes, pouvant évoquer les touches
d’un xylophone ou les marteaux d’un piano. Gérées
individuellement par hydraulique, les plateformes passent lentement
de la verticale à l’horizontale, capables de créer des
environnements variés qui prennent vie grâce à des projections
vidéo illustrant tantôt la tempête, la forêt ou la lave. L’espace
se forme sous les yeux des spectateurs, créant un effet presque
magique, dans cette œuvre où les dieux côtoient les hommes. Le
défi technique est pleinement relevé, ce dispositif délivrant
des images puissantes, comme la scène finale où
Brünnhilde se trouve comme crucifiée, tête en bas, tandis que son
père fait s’enflammer la montagne autour d’elle. Dommage que
l’exigence et le soin apportés à une telle conception scénique ne se retrouve pas dans la direction d’acteurs,
quelque peu laissée de côté (manque de contact visuel et physique entre les chanteurs, gestes et attitudes ténus).
Philippe Jordan à la tête des musiciens du Metropolitan Opera traduit en musique les pensées des personnages à l’aide des nombreux leitmotivs de la partition. Après un prélude plein d’énergie, où l’orchestre se déchaîne autant que la tempête projetée en vidéo sur la structure scénique, le chef calme le jeu en douceur. La présence des cuivres se fait particulièrement sentir, comme en témoigne la reprise du thème des Walkyries au début de l’acte III, tonitruant.
Le plateau vocal est très homogène en qualité. Günther Groissböck interprète Hunding, ténébreux et inquiétant, dont la voix aux couleurs sombres finit de composer un personnage très menaçant. Fricka est chantée par la mezzo-soprano Jamie Barton, qui apparaît en scène siégeant sur un trône imposant orné de deux boucs. La voix, très ample, caractérise immédiatement et avec justesse autant la femme blessée par l’infidélité de son mari que la déesse défendant ses positions. S’appuyant sur une large tessiture, elle est vocalement et scéniquement à l’égal de Wotan.
Eva-Maria Westbroek prête sa voix assurée à Sieglinde. Grâce à son expérience (elle a déjà abordé le rôle plusieurs fois, y compris dans cette mise en scène) et sa technique, elle compose un personnage mature au timbre riche et vaillamment projeté. Scéniquement, elle paraît un peu distante de l’action au début de l’œuvre, mais retrouve plus de sincérité et de présence au début du troisième acte, appuyant le point de bascule de l'opus (O hehrstes Wunder! Herrlichste Maid! - Ô Sainte merveille ! Vierge sublime !).
Son frère jumeau et amant Siegmund est quant à lui incarné par le ténor australien Stuart Skelton. Sa voix profonde donne corps à un héros dense et affirmé, aux aigus peu perçants mais bien présents, tenant longuement les deux « Wälse » caractéristiques du rôle au premier acte, grâce à une longueur de souffle qui impressionne. L’incarnation de son personnage est quant à elle assez sobre du point de vue du jeu, le chanteur variant peu sa palette expressive.
Christine Goerke est une Brünnhilde espiègle quand elle entonne les premiers « Hojotoho » de son entrée en scène, lance à la main, en pleine complicité avec son père. Par la suite, la chanteuse a d’ailleurs du mal à se défaire de l’image d’une Walkyrie assez malicieuse, mais ce caractère, par contraste avec la progression dramatique de la scène finale en accentue finalement l’émotion. Vocalement, c’est véritablement au troisième acte que celle-ci s’affirme, déployant un timbre nourri et un phrasé soigné. Son chant gagne en expression au fur et à mesure de ce dernier acte poignant.
Enfin, Wotan est interprété par Greer Grimsley, qui se trouve très convaincant autant en dieu guerrier et mari contraint qu’en père touchant à la fin de l’oeuvre. Chanteur charismatique, la noblesse de son timbre sied très bien au rôle, même si les graves manquent un peu d’envergure et sont parfois couverts par l’orchestre. La scène finale est, tout comme pour Christine Goerke, le point culminant de sa prestation, après un beau duo avec Jamie Barton au début du deuxième acte, dans lequel les deux chanteurs rivalisent de présence vocale.
Chevauchant directement les plateformes imaginées par Robert Lepage, les huit Walkyries (Kelly Cae Hogan, Jessica Faselt, Renée Tatum, Daryl Freedman, Wendy Bryn Harmer, Eve Gigliotti, Maya Lahyani et Mary Phillips) profitent de leur moment de gloire au début du troisième acte pour alpaguer vocalement le public, qui répond par des applaudissements chaleureux devant l’enthousiasme débordant du groupe. Les huit chanteuses ne font qu’une bouchée des multiples interjections entre sœurs qui composent la partition et apportent beaucoup de dynamisme et d’entrain à la scène.
Séduit par cette mise en scène impressionnante et par la distribution qui ne l’est pas moins, le public new yorkais fait un triomphe à cette production ambitieuse.