Franco Fagioli, flamboyant disciple de Leonardo Vinci
Depuis les représentations triomphales d’Artaserse, son ultime opus, à l’Opéra de Nancy en 2012, le compositeur Leonardo Vinci semble devoir prendre une place de plus en plus affirmée au sein des concerts de musique baroque. Quoique mort prématurément à l’âge d’environ 40 ans en 1730 (d’autres sources proposent même 34 ans), il lègue une œuvre abondante dont 36 opéras créés durant une courte période sur les scènes lyriques de Naples, Parme, Venise ou Rome. Il écrivait notamment pour les plus illustres castrats de l’époque comme Farinelli ou Carestini, chanteurs qui déployaient une technique extraordinaire. Il semblait donc légitime que le contre-ténor Franco Fagioli poursuive son exploration de cette musique qui offre un panel complet à mettre en valeur, au point de finalement dédier au seul Vinci ce programme initialement prévu pour le faire dialoguer avec Haendel.
Si le chanteur convoque la dimension fascinante et unique de ses illustres prédécesseurs, il ne renie pas non plus le côté un rien narcissique voire spectaculaire qui prend encore quelquefois trop le pas sur l’expressivité et l’intériorité. Il mobilise d'autant plus l'attention qu'il est face à un effectif réduit : l’ensemble Il Pomo d’Oro qui l’accompagne souvent se trouve ici réduit à six musiciens dirigés par la violoniste Zefira Valova (qui s'illustrent notamment en intermèdes instrumentaux dans la ravissante sonate pour trois violons de Nicola Fiorenza). Pour l’accompagnement des airs de Vinci, notamment les plus brillants, l’étoffe peut paraît un rien transparente, sinon sous-dimensionnée face aux splendeurs vocales dévoilées par Franco Fagioli.
L’artiste balaye il est vrai dans ce répertoire les ressources de son art : chant timbré et enivrant par ses écarts, sauts d’octaves, notes piquées, descentes rapides vers le grave ou vers l’aigu, agilité surprenante, trille appuyé, sens puissant de l’ornementation notamment dans l’air d’Oreste extrait de Siroe, Rè di Persia, "Gelido in ogni vena". Il a assimilé tout l’arsenal du « divo » de l’opéra séria. Le fruit d’un travail intensif se marie ici avec des dons naturels et une compréhension profonde de la musique baroque. L’Air de Climaco, d’allure très enlevée, extrait de Medo (Médos) "Scherzo dell’onda instabile", modèle de virtuosité, permet à Franco Fagioli de briller sans réserve, alors que l’air d’Ottone extrait de Gismondo, Rè di Polonia "Quell’usignolo che innamorato" (sorte d’air du rossignol) révèle, sous ces habits légers, un aspect un peu plus dramatique de l’art du contre-ténor. Plusieurs autres extraits d’ouvrages inédits de Leonardo Vinci complètent la soirée et confortent les aspects soulignés : l’artiste trouve des accents plus tragiques, presque déchirants, et exploite encore un peu timidement un ensemble de contrastes qui ne demandent qu’à s’imposer ailleurs.
En bis, deux extraits d’airs d’Artaserse, "Vo solcando un mar crudele" (qui fit se soulever le public nancéien en 2012) et "Fra cento affanni e cento". Franco Fagioli sait embraser le public et lui transmettre sa frénésie, sa joie de vivre. Charge au chanteur désormais, d’insuffler un peu plus de profondeur et de caractère à ce chant ô combien glorieux.