La Force du destin triomphe à Londres avec Jonas Kaufmann, Anna Netrebko et Ludovic Tézier
Mettre
Jonas Kaufmann, Anna Netrebko et
Ludovic Tézier
côte
à côte à
l’affiche est un grand coup réalisé par Covent Garden.
Certes,
les
protagonistes partagent rarement la scène ensemble mais
en
dehors du duo ténor-soprano
du premier acte, un public enthousiaste sait
apprécier Kaufmann et Netrebko seuls ou en combinaison avec d'autres membres
d'une distribution aussi remarquable.
Les têtes
d’affiches impressionnent, les seconds rôles
également
(comme
Alcade et le Chirurgien).
Sous la direction d'Antonio Pappano, l'Orchestre du Royal Opera House semble
au
sommet de sa forme, et
les chœurs
offrent
une qualité de prestation qui n’avait pas été entendue
depuis longtemps, le
tout avec
une chorégraphie et une mise en scène intelligentes et bien
mesurées.
Jonas Kaufmann marque d’emblée sa présence par une entrée en scène époustouflante dans un premier acte qui n’est pourtant que le prélude d’une pléthore de sons éblouissants, d’une dynamique subtile mais variée et des timbres franchement étonnants (nuancés et dynamiques à chaque tournant du phrasé). L'ouverture de l'acte III, avec son point culminant Oh, tu che in seno agli angeli est une démonstration de la manière par laquelle les mêmes hauteurs peuvent jouer sur un piano en voix de tête et un fortissimo in petto (sublime oxymore d’un son puissant et retenu à la fois dans l’intimité). D’autant que l’interprète vedette se déplace sur scène sans effort et avec une élégance constante : son Alvaro d’abord entêté et ardent cède à la noblesse héroïque dans le troisième acte puis à la résignation pieuse dans le dernier.
Leonora par Anna Netrebko se mesure pourtant facilement à lui (sur scène mais également dans la salle où ses admirateurs ont eux aussi fait le déplacement en force, ils ne seront pas déçus). Comme le rôle d'Alvaro et comme Kaufmann, ce sont presque trois personnages différents qu’elle incarne et d’une manière absolument caractérisée : l'amante ardente mais prudente, la repentante pécheresse et la voyante visionnaire. Ces deux derniers caractères lui permettent en particulier des lignes vocales brisées et tremblantes à dessein qui bouleversent la salle. Un moyen de faire surgir son chant, moins mis à l’honneur dans les longues lignes lyriques car la production de Christof Loy voit Leonora comme submergée par le sexe opposé (par Alvaro dans l'acte I ou par les moines dans l'acte II).
Le plus grand ensemble de l’œuvre se déploie avec Carlo di Vargas, chanté ici par Ludovic Tézier : un grand rôle pour une grande voix. Avec des aigus flamboyants, des graves charpentant toute la soirée et même un jeu d'acteur imaginatif, il est un partenaire absolu pour Kaufmann dans Voi che sì larghe cure : les deux voix rivalisent de caractère mais en travaillant leur combinaison.
Complétant la palette des graves, la basse de Ferruccio Furlanetto en Padre Guardiano apporte de subtiles couleurs mezzo piano à la gamme, équilibrant ainsi la comédie grincheuse de son jeune collègue Melitone, au centre des éléments buffa de La Forza. Ceux-ci ont tendance à être négligés dans le déroulement général de la tragédie, mais ce rôle rappelant Don Alfonso et Don Pasquale correspond aux compétences et appétences d'Alessandro Corbelli, dont l’efficacité fait rire la salle. La brillante Preziosilla de Veronica Simeoni offre un autre ingrédient dans la recette buffa avec la vivacité indispensable de son soprano souple qui fait exploser les lignes de Verdi aussi facilement qu'elle se déplace sur scène. La lecture fortement ironique de Loy sur son personnage joue beaucoup en sa faveur, mais la finalité est périlleuse : son personnage commence comme chez Offenbach, puis devient music-hall et finit comme dans un concert au stade.
Dans toute autre production, Calatrava de la basse distinguée Robert Lloyd, Alcade de Michael Mofidian, Trabuco de Carlo Bosi et le chirurgien de Jonathan Fisher auraient été dignes de rôles principaux. Ici, ils offrent un superbe soutien au quatuor.
La production de Christof Loy fonctionne sur des décors austères mais d'une beauté figurative (qui contraste avec nombre de productions au Royal Opera House cette année). L'utilisation subtile de la vidéo rappelant la mort du marquis aide à maintenir le thème de la vengeance qui se trouve au plus profond du livret de Piave et Ghislanzoni (sans parler de la musique de Verdi).
De
nombreux mélomanes habitués à traverser l’Europe (voire le
monde) pour suivre les têtes d’affiche éblouissantes de cette
distribution s’entendaient tous à la sortie du spectacle :
un Triomphe.
Vous pouvez également réserver pour voir cette œuvre à Paris avec Anja Harteros et Željko Lučić