Le Château de Barbe-Bleue ouvre en grand ses sept portes à la Philharmonie de Paris
Le célèbre chef d’orchestre hongrois, Ivan Fischer, créateur il y a 35 ans de l’Orchestre du Festival de Budapest et infatigable serviteur de la musique de son pays, devait diriger les deux concerts Béla Bartók programmés ce week-end, le premier proposant entre autres pièces la musique du ballet-pantomime Le Mandarin Merveilleux, et le second, l’opéra Le Château de Barbe-Bleue. Malheureusement souffrant, il a cédé à la dernière minute sa baguette à son jeune et talentueux confrère, Gábor Káli, ce dernier encore tout auréolé du fameux Prix des Jeunes Chefs Nestlé-Festival de Salzbourg qui lui fut décerné l’an dernier. Et force est de reconnaître que Gábor Káli, qui effectue ainsi de façon inopinée ses débuts à Paris, se montre digne de son maître.
La première partie du second concert puise aux sources profondes du folklore avec les Danses populaires roumaines de Bartók, les premières interprétées de façon endiablée sur des instruments traditionnels par un trio passionné (Istvan Kadar, András Szabó, Zsolt Fejérvári), l’orchestre prenant la suite sur les dernières. Les Chansons paysannes hongroises, pour leur part, s’inspirent directement de chants populaires collectés par Béla Bartók dans les villages hongrois. Véritable ambassadrice du chant traditionnel hongrois à travers le monde, Márta Sebestyén appuyée par l’orchestre -qui quelquefois chante avec elle- et le trio d’instrumentistes, offre une leçon d’authenticité, de maîtrise et surtout de ferveur dans ces chants. Il ne s’agit pas d’une cantatrice au sens strict du terme, mais d’une chanteuse populaire qui livre son cœur par une voix à l’émission haut placée dans les résonateurs, libre et aux accents de vérité. Le public présent, dont pour une bonne part la communauté hongroise de Paris, se retrouve dans ce programme et offre des applaudissements nourris.
Seul ouvrage lyrique de Bartók, Le Château de Barbe-Bleue impressionne toujours par sa concision, la force et la détermination de son héroïne, cette ambiance musicale puissante et savante dont la conclusion, à partir de la découverte par Judith dans un cri déchirant des trois précédentes femmes de Barbe-Bleue toujours vivantes, s’impose ici encore par sa brutalité. Judith, la quatrième épouse, rejoint les trois autres clôturant ainsi le cycle de la vie. Depuis longtemps titulaire du rôle de Judith, qu’elle a présenté aux quatre coins du monde et notamment enregistré sous la baguette d’Ivan Fischer avec l’Orchestre du Festival de Budapest, Ildikó Komlósi déploie sa vaste voix de mezzo-soprano aux accents terribles avec plénitude et surtout un investissement qui demeure intact. L’aigu apparaît solide, épanoui, le grave d’une belle couleur que la langue hongroise semble amplifier. Un vibrato certes un peu appuyé s’est emparé avec le temps du matériau vocal, sans pour autant atteindre à l’essentiel. Sa prestation est marquée du sceau de la connaissance et de l’expérience. À ses côtés, la basse Krisztián Cser habite avec passion le rôle de Barbe-Bleue. La voix apparaît sonore, richement timbrée et couvre sans effort toute la tessiture du rôle. Le concert se trouvant a priori enregistré, il est à noter que les solistes bénéficiaient en outre d’un léger appui de la part de la sonorisation, assez sensible s’agissant de la prestation de Krisztián Cser dont la voix se trouvait englobée dans une sorte de halo.
Ildikó Komlósi (© Ludwig Olah) | Krisztian Cser (© Emmer László) |
L’Orchestre du Festival de Budapest connaît l’ouvrage dans ses moindres recoins. Sous la baguette toute d’élégance mais puissante et affirmée de Gábor Káli, il renforce encore les splendeurs de la partition de Bartók. Que ce soit du côté des pupitres des bois, des cuivres ou des cordes, il semble que la musique du compositeur hongrois coule naturellement dans leurs veines.
Formidable concert Bartok (et ses racines) @philharmonie avec @BudFestivalOrch et le jeune chef Gábor Káli pic.twitter.com/g3ThSkUKyN
— Philippe[s] Escalier (@Phildelescalier) 31 mars 2019