Armide de Lully & Francoeur : le rouge incarnat magnifie la prestation de Véronique Gens
Diffusion sur France Musique Dimanche 21 avril 2019 de 20h à 23h59 :
Dernier ouvrage commun de Lully et du poète Philippe Quinault, Armide fut créée en 1686 et connut un succès certain durant presque un siècle. Pour autant, cette Tragédie Lyrique, comme la plupart des œuvres vocales alors représentées sur scène, fit l’objet de nombreux remaniements plus ou moins importants lors de chaque reprise afin de la mettre au goût du jour. En 1777, Christoph Willibald Gluck s’empare du livret original de Quinault pour écrire sa propre Armide, déclenchant alors un véritable tollé. Pour tenter de contrecarrer cette initiative, la direction de l’Opéra de Paris confie à Louis-Joseph Francœur, violoniste et compositeur attaché comme son père à la première scène lyrique nationale, le soin de remanier l’Armide de Lully. Cette partition composite et d’ailleurs inachevée au niveau du cinquième acte, dormait depuis lors dans les archives à la Bibliothèque Nationale de France sans avoir jamais été portée à la scène. Cette soirée au Théâtre des Champs-Élysées en constituait donc la recréation. Benoît Dratwicki, à l’initiative du projet qui a nécessité un long travail préparatoire, et Directeur artistique du Centre de Musique Baroque de Versailles, justifie la démarche dans son éclairant texte de présentation : « Le public, qui n’est tenu ni de connaître, ni de choisir, peut s’attacher à comprendre la démarche d’hier et celle d’aujourd’hui. Remanier Armide, en 1778, c’était l’unique manière de transmettre l’héritage du Grand Siècle à des spectateurs curieux, avides de nouveautés, mais conscients de leur histoire ».
Pour le public du 21ème siècle attentif à la résurrection du répertoire baroque, il faut dépasser l’aspect hautement musicologique de la redécouverte et tenter de s’imprégner d’un ouvrage aussi profondément remanié. Les lignes mélodiques de Lully subsistent en filigrane de façon plus où moins significative, mais comme noyées dans une esthétique plus chargée, plus démonstrative et une orchestration élargie. Le prologue disparaît au profit d’une ouverture peu inspirée et désormais le récitatif se trouve soutenu par l’orchestre et non plus par le clavecin. Les parties vocales apparaissent également touchées, dont en premier lieu celles dévolues au personnage d’Armide la magicienne. Un style plus héroïque s’affiche dans la continuité de l’école gluckiste qui va alors s’imposer. Ce sont justement ces qualités précises que Véronique Gens, en grande forme vocale, possède notamment dans son approche de la Tragédie Lyrique. Son apparition dans une magnifique robe rouge incarnat dotée de larges manches volantes, installe à l’instant le personnage. Sans perdre sa luminosité et sa flexibilité, sa voix s’impose dés les premières mesures par sa noblesse de ton et cette rigueur stylistique qui n’est jamais chez elle synonyme de froideur. La ligne vocale jamais ne se relâche, l’aigu se déploie avec ferveur, la prononciation ne laisse rien de côté. Son envolée finale, les bras relevés, après avoir maudit son sort à l’abandon de Renaud, la trouve irrésistible.
Dans le double rôle d’Hidraot et de la Haine, Tassis Christoyannis livre une prestation soignée. Sa voix de baryton manque certainement un peu d’éclat et les deux rôles se révèlent un peu graves pour lui. Mais dans la longue scène, où incarnant La Haine au troisième acte, il se trouve entouré de sa cour infernale, il impose son autorité et une musicalité de fière allure. Reinoud van Mechelen brille un peu moins dans le rôle de Renaud, haï puis ardemment aimé d’Armide. Sa voix de ténor possède une technique raffinée, une tenue et une pureté assez rare, qualités soulignées à l’occasion des représentations de Pygmalion de Rameau à l’Opéra de Lille récemment. Mais le rôle de Renaud, moins caractéristique et plus court, le met simplement moins en valeur. Pour sa part, Chantal Santon-Jeffery semble bien plus à l’aise dans le rôle vocalisant et léger de Lucinde que dans celui de Phénice, suivante d’Armide. Il en va un peu de même pour Katherine Watson (Sidonie/une Naïade/Un Plaisir) pas suffisamment audible à plusieurs reprises, même si le timbre conserve sa joliesse et la voix sa souplesse. Par contre, Zachary Wilder (Le Chevalier Danois) s’impose par la justesse et la beauté de sa voix de ténor, toujours ductile et passant sans effort en salle. Excellente prestation aussi pour le jeune baryton Philippe-Nicolas Martin (Aronte/Artémidore/Ubalde), à l’émission franche et fort caractérisée. Il affronte ses différents rôles avec aplomb et un déjà beau métier.
Comme toujours, Hervé Niquet se lance par une passion communicative dans cette mission de redécouverte avec son ensemble du Concert Spirituel qui répond à l’instant à ses sollicitations. Si le démarrage est certes un peu difficile, le rétablissement se produit au cours de la représentation. Le meilleur réside dans le cinquième acte, complété par le Centre de Musique Baroque de Versailles, très enlevé et riche au plan harmonique. Le Chœur du Concert Spirituel magnifiquement préparé comble constamment d’aise notamment dans la grande scène spectaculaire avec La Haine.
Armide poursuivra son envol vers l’Arsenal de Metz le 3 avril, puis le 8 au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Cette Armide remaniée ne fera pas oublier la version d’origine de Lully, mais il serait dommage de rejeter d’emblée les attraits. Un enregistrement est prévu par le label Alpha Classics. Il permettra de mieux se familiariser avec cette version d’Armide.