Souvenirs héroïques du Retour d’Ulysse, l’homme fragile et vulnérable, à la Maison de la Danse de Lyon
Complétant le
triptyque de son festival « Vies et Destins », l’Opéra de Lyon investit la Maison de la Danse pour raconter la destinée
d’une autre femme, Pénélope, Reine d’Ithaque. À l’inverse des
personnages de Nastassia ou d’Enée, si sa vie fut triste, son
destin se veut plus heureux. C’est ce que narre le dramma in musica en trois actes de Claudio Monteverdi, Le Retour d’Ulysse dans sa patrie, composé en 1640. La mise en scène de ce
soir est celle du sud-africain William Kentridge, créée à
Bruxelles en 1998 avec la superbe compagnie de marionnettes
Handspring Puppet Company dirigée par Adrian Kohler. Afin de centrer
toute l’attention sur le couple d’Ulysse et Pénélope, cette
version est débarrassée des scènes secondaires, comme l’intrigue
amoureuse de Mélantho (la suivante de Pénélope), et se voit ainsi raccourcie
de moitié.
Le décor se constitue d’un amphithéâtre de bois dont les musiciens occupent le premier gradin. Les personnages évoluent au centre et derrière ce petit théâtre renaissance, devant un écran où s'impriment dessins au fusain de William Kentridge, paysages ou images médicales du corps humain (échographies, angiographie, scanners). Ces images, toujours en noir et blanc (sauf quelques rares pointes de rouge sang), vont et viennent. Leur sens échappe parfois à la compréhension du spectateur, d’autres fois au contraire l’y aident, par exemple cette chouette qui apparaît en même temps que la déesse Minerve et les dessins de destructions qu’elle suscite lorsqu’elle est outragée. Ces images accompagnent les derniers souvenirs héroïques d’Ulysse, alors sur son lit de mort, n’oubliant ainsi pas sa fragilité humaine, à la merci des Dieux, du Temps, du Destin et de l’Amour. Sur scène, chaque personnage est incarné par un trio : le chanteur -source d’expressivité par son interprétation vocale- la marionnette -représentation poétique et irréelle du personnage- le marionnettiste -qui insuffle les mouvements. Les créatures en bois, aux yeux brillants, fabriquées par Adrian Kohler sont si belles et leurs mouvements si naturels qu’elles paraissent parfois tout à fait vivantes. L’expressivité d’Ulysse en est particulièrement touchante, autant que les trois prétendants sont fiers et ridicules.
Les jeunes solistes, issus du Studio de l’Opéra de Lyon, accompagnent leur marionnette et assistent quelques fois le manipulateur, tout en restant totalement maîtres de leurs interprétations personnelles, incarnant plusieurs personnages. Le ténor Alexandre Pradier possède l’assurance pour interpréter Ulysse, sans doute trop pour la Fragilité humaine du Prologue. Ses aigus peuvent certes gagner en prestance, mais son timbre est chatoyant avec une pointe de noblesse. Pénélope est chantée par la mezzo-soprano Beth Moxon à la voix joliment ronde, particulièrement dans son registre grave, et pleine de belles intentions dans le soin de ses phrasés. La soprano Henrike Henoch prête sa voix ronde à Amour et Minerve, malheureusement à la justesse pas toujours très sûre, ce qui perturbe l’homogénéité du trio du Prologue. La mezzo-soprano Beth Taylor se démarque par sa grande expressivité, servant la Fortune, Mélantho et le prétendant Amphinomos avec un engagement et une présence fort appréciés. Son timbre se montre velouté et toujours très clair. Le Jupiter du ténor Stephen Mills n’a sans doute pas le caractère que l’on aurait pu attendre du personnage, plus élégant qu’autoritaire, mais son interprétation limpide du berger Eumée lui va indéniablement mieux. Autre ténor de la distribution, Emanuel Heitz chante avec fraîcheur et tendresse le jeune Télémaque et le prétendant Pisandre. Enfin, la profondeur du timbre du baryton-basse Matthew Buswell marque dès les premiers temps son interprétation du personnage incarnant le Temps, pénétrant aussi en Neptune, à la fois noble et sage pour le prétendant Antinoos.
Le Ricercar Consort accompagne avec discrétion et efficacité le plateau vocal. Davantage de reliefs et de vitalité, surtout lors des quelques intermèdes instrumentaux, aurait pu s'accorder avec une meilleure synchronisation et justesse, mais heureusement les accords sont bien corrigés avant le deuxième acte. Philippe Pierlot dirige en jouant de sa viole de gambe, avec une égale discrétion. Les chanteurs évoluant devant et derrière l’ensemble, les équilibres en sont sans doute complexifiés pour les instrumentistes, sans que cela ne gêne néanmoins outre mesure la compréhension.
C'est sur le souvenir heureux de retrouver sa Pénélope dans ses bras qu'Ulysse s'éteint et avec lui « Vies et Destins », un festival faisant (re)découvrir trois œuvres sublimes dans lesquelles trois destins qui mènent à la même finalité : la mort, toujours la mort. Mais avant d'y parvenir, il y eut des vies, passionnées, douloureuses, héroïques... toutes humaines.