Donna : Vierge et Amante par Il Festino aux Invalides
L’intitulé
du programme (« Donna : Vierge ou Amante », objet
d’un CD fraîchement paru chez Musica Ficta) tend à signifier
l’intrication de l’amour sensuel et de l’amour spirituel dans
les madrigaux de Monteverdi autour de la figure de la donna.
Une composition en accord avec l’intention initiale de l’Ensemble
Il Festino (créé en 2009) d’allier plaisir des sens et éveil
spirituel. Initialement prévu dans l’écrin intimiste du salon des
Invalides, ce concert se déploie finalement sous la haute voûte de
la Cathédrale Saint-Louis. Les dorures qui parent les lieux viennent
s’accorder aux nuances des bois plus ou moins clairs des
instruments : harpe, théorbe, viole, lyrone, basson et cornet.
L’effectif est rejoint par les voix de la soprano Claire Lefilliâtre et de la mezzo-soprano Dagmar Šašková pour transmettre
à l’auditoire les transports passionnés suscités par cette femme
aimée, désirée, crainte.
L’amour pour la donna se fait avant tout a due voci. Convoquées le plus souvent ensemble, elles se rencontrent et se complètent, joignent leurs forces dans l’expression des passions les plus contraires, l’une s’unissant à l’autre en des escalades harmoniques jusqu’au sommet de la tension (le Salve Regina). Les regards échangés, une confiance réciproque comme le détachement de la partition servent la conviction, avec une attention aux variations soudaines de rythme et de caractère dans les madrigaux, jusqu’au virevoltant Zefiro torna où les mélismes s’entremêlent au fil du vent.
Claire Lefilliâtre se montre à l’aise dans ce répertoire. D'une grande intensité en toute circonstance, elle incarne avec une justesse théâtrale les myriades d’émotions contenues dans ces pièces. Le soupir, l’agitation, le souffle haletant se trouvent ainsi pleinement portés. La voix projetée dans les aigus révèle un timbre argenté et une limpidité de son appréciée, mais peine à trouver son ampleur dans des graves timides. Le legato, entretenu par la résonance de la salle, est filé allègrement avec agilité. À ses côtés, la mezzo-soprano Dagmar Šašková montre une voix sans artifice, pleine et d’une richesse de timbre éblouissante. Mordante dans les médiums, soyeuse dans les aigus, elle offre une inépuisable palette de couleurs. Parfois incisive, parfois légère, l’attaque demeure précise à différents tempi. Dans l’Ego flos campi a voce sola de Monteverdi, la voix se fait pleine et rassurante, conduite avec attention au fil de lignes legato, de gammes prises en un souffle, jusqu’à un ultime ornement soigné sur le dernier accord du continuo.
Outre un accompagnement dosé qui soutient les deux interprètes, l’effectif du Festino ponctue les pièces vocales de parenthèses instrumentales, variées en caractère, mais inégales en précision. Les deux pièces de Kapsperger (Capona & Canarios et la Passacaglia) sont un moment fort de musicalité et de poésie. Jouées à trois instruments à cordes (harpe, théorbe et viole de gambe), elles font résonner dans le vaste espace de la cathédrale un son léger, évanescent, qui prend appui sur une basse obstinée dont les redondances font perdre la notion du temps. Quelques difficultés apparaissent toutefois dans le Balletto primo de Biagio Marini comme dans la Sonata ottava de Dario Castello, avec un jeu inconfortable et des décalages rythmiques chez les soufflants en particulier sur les parties véloces.
Un concert qui marque la fin du Festival Vents d’Hiver des Invalides et qui ouvre un nouveau cycle, L’Heure espagnole, à l’heure du printemps naissant.