La Passion Currentzis enflamme le Requiem de Verdi à la Philharmonie de Paris
Près de deux cents musiciens sont présents sur la scène de la Philharmonie, pour cette œuvre impressionnante et bouleversante, cet « opéra en robe d’ecclésiastique » (comme le qualifiait ironiquement, lors de sa création en 1874, le chef d’orchestre Hans von Bülow). Le chœur et l'orchestre incarnent cette citation littéralement, apparaissant vêtus de longues robes noires (hommes comme femmes), comme autant de silhouettes religieuses. Dans l'esprit de cette théâtralité, les instrumentistes jouent debout (sauf les violoncelles, bien entendu).
Théâtral et religieux lui aussi, c’est avec passion que Teodor Currentzis dirige ce Requiem. Les instrumentistes debout sont ainsi au niveau de son regard et au plus près de ses intentions musicales (d'autant qu'il dirige à mains nues). Le chef insuffle une ardeur sur chaque son, chaque phrasé, soutient les tempi sans faiblir, ses bras immenses s’ouvrent, indiquant un legato généreux, ou s’agitent frénétiquement dans le déchaînement du Tuba mirum. Certaines de ses propositions semblent absolument inédites, comme le détaché des cordes dans le Kyrie ou le swing accompagnant le Sanctus. Toujours avec les gages d'une longue collaboration entre les artistes, avec conviction dans une grande précision et un bel équilibre sonore.
Dans l'esprit qui présidait déjà pour la création de ce Requiem (dont les parties solistes furent confiées à la distribution d’Aïda, l'opus immédiatement précédent dans le catalogue du compositeur), la soprano de ce soir (Zarina Abaeva) a également ce rôle-titre dans son répertoire. Disposant d'une voix claire richement timbrée qu’elle module aisément, sa puissance accompagnée d’un vibrato conséquent lui permet de surpasser le volume orchestral, mais ses aigus éthérés et enchantés planent aussi dans la grande salle de la Philharmonie.
Hier soir, la Philharmonie de Paris était debout pour applaudir le Requiem de Verdi par Teodor Currentzis et son Orchestre MusicAeterna. Un moment exceptionnel. Bravo ! pic.twitter.com/vbHD8TGoUH
— Franck Riester (@franckriester) 27 mars 2019
La mezzo-soprano Varduhi Abrahamyan s’appuie sur une voix sombre aux voyelles couvertes et au vibrato constamment perceptible, restant cependant toujours accrochée aux résonateurs, pour affirmer sa présence à chacune de ses interventions aussi bien soliste qu’en ensemble. Le legato est soutenu par des ports de voix expressifs (Salva me) et l’amplitude de son souffle répond à l’amplitude des phrases verdiennes.
Les couleurs de timbres de ces deux cantatrices, à première écoute très dissemblables, se marient harmonieusement lorsqu’elles chantent en duo (Recordare). L'équilibre obtenu dans l’Agnus Dei est saisissant, la voix aiguë émergeant telle une résonance flottant au dessus de la ligne d’alto.
Le ténor René Barbera offre une prestation remarquée et très nuancée. Il lance vaillamment le Kyrie s’appuyant sur des aigus brillants et sûrs. Il interprète le doux Hostias en voix de tête, l’incorporant progressivement afin de pigmenter subtilement son chant.
La basse Tareq Nazmi n’en est pas à son premier Requiem et sa voix majestueuse convient particulièrement à cette oeuvre. Son émission précise évoque avec autorité l’effroi de Mors stupebit et le Lacrimosa, commencé dans une nuance suave, s’intensifie au fil d'un somptueux phrasé soutenu.
Le Requiem de Verdi, humain et divin, est certainement bouleversant, comme en témoigne le torrent d’applaudissements retentissant après la longue minute de silence imposée par le chef une fois les dernières notes émises. Si le silence après Mozart est encore du Mozart, le silence après Verdi est ce soir aussi du Currentzis.
Standing ovation @philharmonie de Paris after a mind blowing Verdi Requiem concert by Teodor @Currentzis and his MusicAeterna orchestra of @permopera pic.twitter.com/hNdWl2ztDE
— Rana Moussaoui (@MoussRana) 26 mars 2019