À l'Opéra de Vichy, un Retour d'Ulysse mythique à bien des titres
Des personnages-marionnettes troublants
d'authenticité
Il est intéressant (re)découvrir cet opéra, surtout dans cette version particulièrement marquante. Créée en 1998, elle repose en effet entièrement sur des jeux de marionnettes. Ce sont elles les vedettes, non les solistes. Les chanteurs eux-mêmes participent d'ailleurs à tirer les ficelles de leurs doubles mécanisés et à en animer les expressions, accompagnés des marionnettistes professionnels de la Handspring Puppet Company (elle aussi originaire d'Afrique du Sud). D'où un triplement, de fait, de chacun des personnages : une marionnette, donc, un soliste lui prêtant sa voix, et un marionnettiste. Voilà qui fait du monde sur scène, et l'on ne peut qu'apprécier l'authenticité des figurines animées qui y évoluent. Les visages, par d'habiles jeux de mains et de ficelles, arrivent aussi bien à exprimer la joie que la tristesse (et c'est là l'occasion de saluer le travail génial d'Adrian Kohler, l'un des marionnettistes les plus renommés de sa profession, fondateur de la Handpsring Puppet Company).
Ce pari osé des marionnettes se double d'une autre audace scénique : celle de diffuser, sur le mur du fond de plateau, des échographies et imageries médicales, mais aussi des illustrations animées de paysages divers (accompagnant notamment la marche d'Ulysse vers Ithaque). William Kentridge, dans sa note d'intention, explique vouloir montrer le héros de l'oeuvre dans sa vulnérabilité et non son héroïsme : le père de Télémaque est ici l'ombre de lui-même, au sens propre comme figuré. Tout au long de la représentation, en fil rouge, c'est ainsi un héros allongé et replié sur lui-même qui est présenté au milieu de la scène, tel un mourant passant ses derniers examens médicaux. Une façon pour le metteur en scène d'inscrire la narration de l'histoire non dans une action immédiate, mais comme le fruit d'un songe dont les marionnettes sont les protagonistes majeurs.
Une distribution vocale plaisante
Par des jeux de chariots roulant, les héros de l'action se succèdent sur scène, tantôt devant, tantôt derrière l'orchestre dressé sur une petite estrade. Et, bien que voués à être co-manipulateurs de leurs personnages, les chanteurs du Studio de l'Opéra de Lyon, assumant plusieurs rôles, n'en réservent pas moins de belles surprises vocales. Le baryton-basse britannique Matthew Buswell (rôles du Temps, Neptune, Antinoüs) se démarque particulièrement, avec son timbre chaud et pénétrant. Derrière la marionnette de Pénélope, la mezzo Beth Moxon dévoile un timbre non moins expressif et vibrant, nanti d'une belle élasticité dans l'expression des nuances, et d'une manière soignée de chanter en récitant. Autre mezzo-soprano, l'Écossaise Beth Taylor (La Fortune, Melantho, Amphinome) dévoile également un timbre aux suaves intonations, soutenu par un agréable vibrato. En Minerve-Amour, l'Allemande Henrike Henoch use d'un soprano clair et soyeux, qui ne manque pas de ravir l'oreille. En Ulysse et en incarnation de la Fragilité Humaine, Alexandre Pradier livre une prestation sans fausse note, avec une voix de ténor qui à défaut d'avoir atteint sa pleine maturité, n'en demeure pas moins mélodieuse et pleine de fraîcheur. Autres ténors de la distribution, Stephen Mills (Jupiter-Eumée) et son timbre clair, ainsi qu'Emanuel Heitz (Télémaque-Pisandre) et sa voix chatoyante, méritent aussi une mention.
Quant à l'ensemble orchestral baroque du Ricercar Consort, dans cette version à la partition condensée (le spectacle dure "seulement" 1h40), il parvient pleinement à jouer son rôle d'accompagnement et de soutien musical continu, en sachant aussi se montrer mélodieux lorsque nécessaire. Quand il ne joue pas de sa viole de gambe, le chef Philippe Pierlot assure une direction discrète, mais aussi dynamique qu'efficace.