Sir Bryn Terfel acclamé en récital à Bordeaux
Bryn Terfel, dans son récital, fait la part belle à la culture
anglo-saxone, ce qui permet ainsi de faire
entendre des mélodies de John Ireland, plutôt rarement
proposées au public français (Sea Fever,
sans doute la plus célèbre du compositeur, et The
Bells of San Marie ainsi que de touchants chants
celtiques, et diverses chansons de Franco Leoni, Mana-Zucca et John
Charles Thomas). Mais il ne s'agit que d'une étape dans un voyage lyrique européen : sont également représentés les univers allemand
(avec quatre Lieder de Schubert et la Moritat von
Mackie Messer de L'Opéra de quat'sous),
français (les Chansons pour Don Quichotte d’Ibert, le "Veau d’or" du Faust de Gounod) et italien
avec Son lo spirito che nega du Mefistofele
de Boito.
La variété de ce programme montre une nouvelle fois l’étonnante faculté de l’artiste à s’adapter à des univers et des styles profondément différents. Certes, le chanteur gallois évolue dans l’univers anglo-saxon avec un naturel confondant, conservant le lyrisme de son timbre et la puissance de sa voix tout en adoptant un style évidemment plus décontracté qu’à l’opéra, mais aussi une interprétation plus libre, pleine d’humour lorsque les morceaux s’y prêtent, tout à fait en phase avec l’esprit des chansons proposées. Mais ses incursions dans les autres répertoires ne sont pas moins surprenantes d’aisance et de naturel. La voix, d’un ambitus très large (le Veau d’or est malgré tout dorénavant un peu aigu) se fait docile, ductile (un peu moins dans Auf dem Wasser zu singen qu’ailleurs : question de souplesse et de fluidité dans la ligne vocale, un peu tendue pour rendre pleinement justice à la délicieuse liquidité de la mélodie), d’une malléabilité permettant au chanteur de passer du fortissimo le plus retentissant au pianissimo aigu éthéré, tel celui concluant la Chanson pour la mort de Don Quichotte, émis avec aisance, justesse, douceur. L’interprète n’est pas en reste, qui passe en un clin d’œil de la mélancolie la plus profonde au sarcasme grinçant de Mefistofele ou à l’humour de la chanson de Mana-Zucca.
Le
public fait un triomphe à Bryn Terfel, et ce dès son apparition sur
scène. La facilité avec laquelle le chanteur communique avec les
spectateurs, les régalant d’anecdotes concernant ses premiers
professeurs de chant, ou les amusant d’une allusion très rapide au
Brexit, contribue d’ailleurs à la réussite du spectacle. Une
soirée placée, donc, sous le sceau de la complicité de Terfel avec son public, mais aussi avec sa pianiste Anabel Thwaite, fort
justement couverte d’applaudissements pour ses accompagnements
pleins de force et de subtilité : ne quittant presque jamais le
baryton-basse des yeux, elle recherche en permanence tantôt la
fusion avec le chant, tantôt le juste équilibre entre les lignes
mélodiques de la voix et celles du piano.