Les Boréades à Dijon, danse de l’Amour et de la Mort
L’Opéra de Dijon présente une production des Boréades de Rameau, mise en scène par Barrie Kosky, soit une double rareté en France. Ce dernier met l’accent sur le rôle des dieux dans l’intrigue : la scénographie épurée (signée Katrin Lea Tag) n’est donc constituée que d’une boite blanche (ou dorée au gré des somptueuses lumières de Franck Evin), à la fois prison, boîte à rêve des dieux et cage de laboratoire où prennent place une série d’expériences sur l’amour, qui s’ouvre et se ferme sur le monde des humains. En confiant tous les rôles secondaires de soprano à la même interprète que celle de l’Amour, Barrie Kosky place Cupidon en maître du jeu, qui manipule Alphise. Sa cape noire à capuche lors de son entrée insiste sur le rôle ambigu de l’amour, dont les flèches sont parfois meurtrières. De même, Adamas est ici présenté comme Apollon déguisé (les deux rôles étant confiés à Edwin Crossley-Mercer), qui guide son fils caché, Abaris, vers l’amour et le trône. Entre eux, le dieu Borée se dresse (c’est lui qui souffle sur l’orchestre pour lancer la soirée), cherchant à imposer ses fils Borilée et Calisis. De ce jeu de pouvoir divin, l’Amour semble triompher, puisqu’Alphise et Abaris sont finalement réunis. Mais un twist final se joue du spectateur (et du livret) : l’Amour mutin vient récupérer sa flèche en se moquant des humains, et Abaris disparaît, laissant Alphise aussi seule qu’au début.
Grande triomphatrice de la soirée, Emmanuelle Haïm, aux gestes secs et précis, dirige son orchestre et son chœur du Concert d’Astrée. D’abord timoré durant l’ouverture, comme manquant d’entrain et ne détachant pas les notes dans les passages les plus vifs, l’ensemble se reprend dès les premiers ballets, entraîné par ses percussions et ses bois, affichant contrastes, nuances appuyées et réjouissantes ruptures de rythme, entre gavottes sautillantes et passages plus suaves et mélancoliques. Le chœur se montre puissant et très équilibré, riche en timbres et précis dans ses chorégraphies. Sous la conduite d’Otto Pichler, six danseurs peuplent les nombreux ballets d’interventions à la fois piquantes, rafraîchissantes, énergiques, gracieuses et poétiques. Sourires en coin et petits cris coquins ponctuent une interprétation précise, tant individuellement que collectivement.
Hélène Guilmette interprète le rôle d’Alphise. Sa voix bien projetée, au vibrato serré, s’offre des nuances savamment élaborées, avec de belles notes allégées et de véritables coups de semonce vocale aux aigus épanouis. Les vocalises sont précises et les trilles fins. Si le rôle n’offre pas une large palette de sentiments à jouer, la soprano met en tout cas un point d’honneur à prononcer chaque mot avec une intention et une diction acérées. Mathias Vidal et ses délicats aigus de haute-contre apportent à Abaris la subtilité qui mettent en valeur ses airs langoureux. Très investi théâtralement, il sur-interprète certains passages, les gesticulations nuisant alors à la musicalité du phrasé (et même à la justesse), qui fait sa force par ailleurs : il varie les couleurs et les nuances, n’offrant jamais deux lectures identiques lors des da capo (reprises).
Très sollicitée dans les chorégraphies, Emmanuelle de Negri se montre mutine pour chanter l’Amour et tous les rôles secondaires qui y sont ici rattachés. Sa voix virevoltante, fine et puissante, et à l’intense vibrato, offre un timbre fruité. Edwin Crossley-Mercer prête son noble baryton-basse à Apollon. Son timbre sombre et capitonné bénéficie d’une charpente solide lui permettant de maintenir la qualité d’émission à travers les registres, malgré un manque de volume dans certains passages. Complétant le trio des dieux, Borée prend les traits de Christopher Purves, son accent anglais, ainsi que sa voix profonde et massive au large vibrato, qui s’assouplit dans l’aigu.
Ses deux fils, Calisis et Borilée, sont respectivement interprétés par Sébastien Droy et Yoann Dubruque. Tous deux sont mis à contribution dans des parties chorégraphiées exécutées avec naturel, mais souffrent d’une voix mal posée qui génère des problèmes de maîtrise de la ligne et du vibrato, voire des écarts de justesse. Le premier, très à l’aise dramatiquement (aidé par des nuances bien conduites), offre une voix au timbre corsé, qui « s’envole » dans des vocalises puissantes. Le second, dont les graves s’estompent, offre de clairs aigus, largement émis.
Le public nombreux en ce soir de première applaudit longuement l’ensemble des protagonistes.
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