La Chauve-Souris II de Johann Strauss II à la MC93
La
mise en scène de Célie Pauthe continue de surprendre le public par
la gravité tragique dans laquelle elle plonge l’œuvre délicieuse,
légère et pleine d’humour de Strauss et de ses librettistes.
Après le long discours enregistré de la metteuse en scène qui
précède le spectacle et qui relate sa découverte du camp de
concentration de Terezin, avec les photographies qui défilent
parfois en arrière-plan du spectacle, le public en est visiblement presque gêné de
rire ou de sourire pendant les facéties auxquelles se livrent les
personnages. Pour cette dernière représentation à la MC93 (Maison de la Culture située à deux rues de la gare de déportation de Bobigny), la
transition entre les actes II et III, pendant laquelle le geôlier
diffuse et commente un film de propagande nazie paraît bien trop
long aux spectateurs. Lorsque le geôlier déclare, à la fin
de son discours : « Bon, eh bien j’y vais », les
« Oui ! » d’agacement et de soulagement fusent,
de même qu’un : « On est venus voir La Chauve-Souris » !
Les chanteurs-acteurs redonnent à l’œuvre la légèreté que le public était venu chercher. La savoureuse Ida de Nelly Toffon et le Frank plein d’aisance scénique et vocale de Tiago Matos sont de retour (en espérant pouvoir l’entendre bientôt dans un rôle plus conséquent, lui permettant de faire valoir ses moyens vocaux qui semblent fort intéressants). En revanche, les autres rôles sont intégralement renouvelés.
Albane Bocquillon (Ida), Liubov Medvedeva (Adèle) | Adriana Gonzalez (Rosalinde) - La Chauve-Souris par Célie Pauthe (© Elizabeth Carecchio - OnP) |
Tous
les chanteurs présents ont participé au très beau concert de l’Académie donné en janvier dernier au Palais Garnier,
à l’exception de la Rosalinde d’Adriana Gonzales (qui vient d’interpréter Liù à Toulon). Elle possède une voix de soprano lyrique au timbre personnel,
avec un médium et des graves ronds et chaleureux mais aussi un aigu
puissant et juste (tel celui concluant la czárdás du second acte).
Capable d’émotion (trio du premier acte), elle peut également
être très drôle, y compris dans les passages parlés. Son infidèle
de mari est un Timothée Varon brûlant les planches avec une
assurance rare pour un artiste débutant. Disant son texte avec
beaucoup d’humour et de naturel, le baryton fait entendre dans
les parties chantées une voix chaude, puissante, bien placée,
confirmant la forte impression qu’il avait faite sur le public lors
du concert de janvier. La femme de chambre du couple est cette
fois-ci incarnée par Liubov Medvedeva. Se retrouvent ici ses qualités de précision dans
les vocalises, les aigus et suraigus, l’élégance de la ligne de
chant – même si la voix manque légèrement de puissante. L’amant de Madame est un Jean-François Marras également légèrement moins en forme (avec un petit vibrato pas
toujours parfaitement maîtrisé dans le registre aigu) mais rayonnant
d’aisance sur scène, comme son rival ! Farrah El Dibany fait
entendre, dans l’air d’Orlofsky, son timbre chaud, puissant et
richement coloré, mais avec soutien et une maîtrise de la ligne
vocale plus affirmés qu’à l’ordinaire. Enfin, la
Chauve-Souris elle-même, à savoir le Docteur Falke, incarné par
Danylo Matviienko n'a pas une voix des plus
puissantes (encore qu’elle soit très habilement projetée), mais
la ligne de chant est élégante, maîtrisée,
stylée, et l’interprète convaincant.
Les Musiciens de l’Orchestre-Atelier Ostinato sont dirigés par Fayçal Karoui, juste dans les tempi, attentif aux chanteurs comme aux musiciens : si l’accompagnement orchestral sonne un peu maigrelet, la faute n'en revient donc pas au chef, ni d’ailleurs aux musiciens eux-mêmes qui effectuent consciencieusement leur tâche, mais plutôt au choix d’une formation chambriste ne pouvant, malgré la meilleure volonté du monde, rivaliser avec l’orchestre de Johann Strauss II (le fils), notamment dans l’ouverture et dans la scène du bal de l’acte II.
En somme, une seconde distribution qui rend tout autant justice à l’œuvre que la première, chacun des artistes est d’ailleurs chaleureusement applaudi par le public venu nombreux pour cette dernière balbynienne.
Timothée Varon (Gabriel von Eisenstein), Liubov Medvedeva (Adèle) | Liubov Medvedeva (Adèle), Adriana Gonzalez (Rosalinde) - La Chauve-Souris par Célie Pauthe (© Elizabeth Carecchio - OnP) |