Armando Noguera et la magie de Buenos Aires à l’Opéra National du Rhin
Le Festival Arsmondo consacré cette année à l’Argentine se poursuit avec ce récital cent pour cent « porteño » (Les Portègnes sont les habitants de Buenos Aires). Le tango est intrinsèque à la capitale argentine, qui se targue d’une Académie nationale du tango et où le bandonéon résonne à chaque coin de rue du quartier de San Telmo, vieux quartier des antiquaires, berceau du tango loin des grandes avenues de la mégalopole.
Et c’est justement à San Telmo que le baryton Armando Noguera déplace la grande salle de l’Opéra National du Rhin. Le programme, intitulé Cuando sean las seis (quand il sera six heures), phrase du poème Balada para mi muerte d’Horacio Ferrer mis en musique par Astor Piazzolla est une ode à la ville et au voyage. De Mi Buenos Aires querido connu par l’interprétation de Carlos Gardel, aux pièces instrumentales d’Astor Piazzolla qui ont donné ses lettres de noblesse au bandonéon, en passant par les textes de grands poètes argentins, le programme s’imprègne des couleurs vives et de la nostalgie de San Telmo.
Trois musiciens argentins accompagnent Armando Noguera. Alejandro Schwarz cisèle les accords de guitare comme s’il construisait des enluminures sur chaque pièce, Diego Aubia insuffle au piano la vibration du tango, la nervosité de son souffle saccadé. Juan José Mosalini au bandonéon offre au public une démonstration de prouesse, penché sur l’instrument qui lui sert aussi de percussion, ou faisant vibrer le bandonéon sur les émouvants Oblivión (1984) et Vuelvo al Sur (1988) de Piazzolla.
Soucieux de véhiculer les subtilités de chaque texte comme les instrumentistes les nuances, le baryton opère un travail fin sur le timbre. Graves comme aigus s’adaptent à la lettre et à l’esprit du texte, pianissimi ou forts sous la passion et le désespoir. Les graves vibrent et se font parfois grasseyants, suivant toujours le propos.
Armando Noguera s’adresse plusieurs fois au bandonéon, lorsque celui-ci est mentionné, entre autres textes dans Mi Buenos Aires querido (1934). La déclaration d’amour à la ville possède ici une chaleur de timbre ensoleillé, bien moins plaintive que la version de Carlos Gardel. L’air et les paroles oscillent entre la nostalgie de la ville et de l’enfance, toutes deux éloignées, et le bonheur immense des retrouvailles avec la ville, qui fait « éclater le cœur dans la poitrine » (dentro del pecho pide rienda el corazón) comme elle fait éclater un medium puissant chez le baryton. Le travail sur le souffle est aussi soutenu dans les exercices périlleux de rythme et de souffle changeants. La diction reste claire malgré les accélérations. L’accent caractéristique de l’espagnol argentin, riche de chuintements et d’intonations chantantes, n’est pas en reste.
Le poète Enrique Santos Discépolo (1901-1951) disait du tango qu’il était « une pensée triste qui se danse ». La pensée triste se chante ici et se danse bien aussi pour ce récital. Car en rappel, invitant le public, déjà conquis, à battre le rythme de ses mouvements de danse, la festive Fiesta y Milonga d’Atilio Sampone (1991) voit le chanteur se faire danseur. Armando Noguera triomphe et envoie des baisers au public après avoir embrassé de la main le sol de l’Opéra National du Rhin.