Passion selon Saint Jean purement bretonne à Rennes
Dès les premières mesures, l’auditeur est plongé au cœur du drame. Les croches martelées et répétées aux basses (expression de la loi divine pour Jean-Sébastien Bach) donnent un caractère de marche inexorable et sombre. Les dissonances aux hautbois et flûtes, les doubles croches des violons en motifs ondulants (figuralisme du chemin de Croix) renforcent la dramatisation qui se poursuit avec l’entrée du chœur sur Herr (Seigneur), appels déchirants et poignants. Tout au long du concert, le drame s’intensifie, mais sans excès, par une grande cohérence dans un discours foisonnant : les enchaînements sont précis, les silences bien dosés, les tempi sont variés, le continuo est différencié (juste quelques accords à l’orgue pour ponctuer le récit de l’Évangéliste, plus fourni dans les autres interventions), l’instrumentation contrastée et colorée respectant les choix souhaités pas le compositeur pour accompagner les airs (violes d’amour, luth, viole de gambe, hautbois de chasse). Le chœur d’enfants permet de retrouver la sonorité spécifique des voix jeunes et d’être ainsi au plus proche du dispositif sonore dans les églises de Leipzig en 1724. Damien Guillon dirige de façon nette et précise, sans excès mais tout en expressivité.
Les solistes sont d’une grande homogénéité, avec une émission directe dépourvue de vibrato inutile. Le rôle de l’Évangéliste est confié au ténor anglais Thomas Hobbs, qui propose un bel équilibre entre chant et récit. Il vit le drame plus comme un témoin qu’un simple récitant. Sa voix projetée à la prononciation limpide se colore et se nuance selon les moments du drame : sombre lorsqu’il évoque le reniement de Pierre, précise et fougueuse dans les vocalises évoquant les coups de fouet lors de la flagellation, émouvante et sobre lorsqu’il décrit la mère du Christ. À ses côtés, Benoît Arnould incarne Jésus. Sa voix de baryton-basse, dotée d’une belle rondeur et d’une émission naturelle apporte un vibrant caractère dramatique à son personnage et va de pair avec la voix de Tobias Berndt dans le rôle de Pilate. Lors des airs confiés à ce dernier, sa voix présente une grande diversité : graves présents, vocalises aisées et bien maîtrisées, aigus dosés et légers.
Malgré une technique sans reproches, le ténor Nicholas Scott ne semble pas très à l’aise dans son premier air avec des aigus un peu tendus mais peut-être dus aux exigences du rythme pointé (presque haché) de la Sarabande. Sa voix s’épanouit dans ses deux autres airs et dévoile un timbre clair se modulant subtilement au contact des violes d’amour dans l’évocation de « l’arc-en-ciel », métaphore du dos ensanglanté du Christ. Céline Scheen impressionne par sa façon de vivre les deux airs qui lui sont confiés. Tantôt souriante et joyeuse dans Ich folge dir (Je te suis) tantôt exprimant l’affliction dans Zerfließe, mein Herze (Dissous-toi, mon cœur) elle dévoile une palette émotionnelle étonnante, en subtilité et retenue. Le timbre est cristallin, les aigus délicats dans les nuances pianissimo, les vocalises fluides.
La clef de voûte de la Passion se trouve dans l’arioso Es ist vollbracht (Tout est accompli), méditation sombre et douloureuse dans l’esprit des Tombeaux français. Cet arioso pour alto est interprété par le contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Djian. Son solo accordé avec le jeu plaintif d'Isabelle Saint-Yves à la viole de gambe est un moment de grâce. Le chanteur, déjà remarqué en début de saison dans son rôle de San Giovanni Battista (Stradella), conjugue maîtrise vocale, musicalité et magnétisme au point que toute la salle retient son souffle, émue aux larmes.
Enfin,
mention particulière pour le chœur constitué des hommes de
Mélisme(s) pour les pupitres de ténors et basses (direction Gildas Pungier) et des
enfants de la Maîtrise de Bretagne dirigée par Jean-Michel Noël. Ils
incarnent à la fois les Turbae (chœurs de foule) et les chorals
destinés aux fidèles. Les voix d’enfants apportent légèreté,
s’harmonisent avec les timbres des voix d’hommes et
des solistes, la technique est impeccable (départs et entrées
fuguées toujours précis), l’investissement remarqué. Le chœur final
est particulièrement bouleversant.
La qualité de ce concert mérite à juste titre une longue ovation enthousiaste de la salle remplie.