Orphée et Eurydice de Gluck, Précis de danse à l’Opéra de Metz
La
mise en scène de Gabriela Gómez Abaitua contient un
seul décor pour l’ensemble de cet Orphée et Eurydice de
Gluck, dans la version de Berlioz au livret français
de Pierre-Louis Moline. Au
fur et à mesure de l’avancée de l’argument, quelques détails
subtils s’ajoutent à un décor minimaliste et géométrique de
tréteaux blancs zigzaguant en pente douce jusqu’au sol. Le fond de
scène est un simple panneau blanc et noir délimité par un oblique
qui traduit le malaise d’Orphée. Eurydice repose sur une planche
au blanc pur, son corps ensuite emmené à bout de bras par les
danseurs côté cour, vers les Enfers. Au deuxième acte, la
scénographie de Paco Azorín ajoute quelques touches subtiles
au décor pour annoncer l’Hadès, quelques lampions aux flammes
orangées en fond de scène, et, suspendues aux cintres, les fines
racines d’un arbre. La petite nacelle, quatre cordes et une simple
planche, par laquelle Orphée descend aux Enfers fait aussi office de
lyre ou de barreaux qui contiennent Eurydice.
Jouant sur les effets de lumière de Patrice Willaume, les danseurs deviennent des ombres menaçantes quand seul le fond de scène est éclairé. Le déploiement des tréteaux côtés cour et jardin à la fin du troisième acte porte la libération du couple Orphée/Eurydice, puisque contrairement à la mythologie, l’opus de Gluck s’achève sur la pitié du dieu Amour, qui ressuscite Eurydice et fait remonter le couple vers le monde des vivants.
Le pari d’une mise en scène atemporelle est ainsi tenu et cohérent, il permet de laisser la musique, la poésie du livret et la grâce des danseurs s’exprimer pleinement aux yeux et aux oreilles du public. Le Ballet de l’Opéra de Metz-Métropole, sous la direction de Laurence Bolsigner-May occupe autant, voire davantage, la scène que les chanteurs. En créant un double pour chaque personnage, le texte d’Orphée, d’Eurydice et d’Amour sort renforcé par l’expression corporelle. Par moments la mezzo-soprano Andrea Hill et la soprano Léonie Renaud reproduisent la gestuelle de leurs pendants danseurs et l’ensemble est exécuté avec précision.
Hélas, la direction d’acteurs au premier acte, où tout se concentre sur Orphée, laisse le personnage dans une position trop souvent statique et récitative, en montrant le ressenti du héros par la gracieuse gestuelle de Graham Erhardt-Kotowich. Cependant, l’effet d’immobilité disparaît rapidement grâce à l’expressivité du visage d’Andrea Hill, mais aussi parce que le regard se porte davantage sur les danseurs, corps souples aux grands écarts et portés précis.
L’expressivité corporelle est d’autant plus embellie que les costumes des danseurs sont sobres, tout comme ceux de l’ensemble du plateau vocal. Les mouvements animent les petits voiles ou plissés des jupes, et le vêtement, créé par Brice Lourenço et Valerian Antoine, porte lui aussi l’atemporalité par des coupes simples et élégantes. Les chanteurs et leurs doubles revêtent le même code couleur, du bleu et du gris pour Orphée, du prune pour Eurydice. Le Chœur de l'Opéra-Théâtre de Metz Métropole est principalement vêtu de gris, et seul Amour, véhicule de la fin heureuse, revêt un costume plus argenté et lumineux.
Nathalie Marmeuse, qui dirige l’orchestre et le Chœur d'une gestuelle précise et dansante, laisse pleinement s’exprimer l’Orchestre de Chambre du Luxembourg. Le ballet des furies du deuxième acte se transmet par des cuivres intenses, des gammes montantes et descendantes qui virevoltent en accompagnant les danseurs. La harpe qui figure la lyre d’Orphée a la juste mesure de délicatesse, les tempi de l’agitation des Enfers sont adéquats, les nuances précises dans le développement des cordes. La souplesse de la direction sait se calquer sur celle de la danse car la cheffe, surélevée dans la fosse, est aussi attentive aux chanteurs et à l’orchestre qu’aux mouvements sur scène. D’emblée, la diction du chœur est claire, la portée de la douleur mesurée au premier acte, avant qu'elle ne gronde ses « Non ! », face à Orphée.
La mezzo-soprano Andrea Hill, du fait du choix de mise en scène, semble d’abord plus réciter que ressentir le texte. Mais les aigus doux s’amplifient après le passage d’Amour, à la fois porteur d’espoir et d’inquiétude. Les trilles vertigineux complètent une diction nette, les vocalises sont aussi assurées que les descentes vers les graves. Orphée charme les furies du chœur avec efficacité, par un timbre clair et une fine compréhension du texte. La voix ne fatigue pas et l’air « J’ai perdu mon Eurydice » du troisième acte conserve les qualités vocales en convoquant une implication entière par la gestuelle de la chanteuse.
Léonie Renaud, au rôle plus bref d’Eurydice, traverse d’abord la
scène en virevoltant comme son double dansant. Les retrouvailles
avec Orphée, sur les hauteurs des tréteaux, convoquent un timbre
tendre aux aigus ensoleillés, avant de faire place à l’inquiétude
et au désespoir par des aigus toujours précis et de belles montées.
Réunissant le couple, l’Amour de la soprano Lucie Chartin transcrit l’essence du personnage par des aigus ourlés et un vibrato chaleureux. La diction, dont les roucoulades de r abondent au premier acte, est plus assurée au retour d’Amour et le timbre ne perd pas ses qualités premières.
L’ensemble du plateau est longuement ovationné par le public qui ponctue de bravos les saluts de chacun.