Le Luks d'un Israël en Egypte exalté à la Chapelle royale de Versailles
Israël en Egypte est un oratorio par lequel Haendel espère reconquérir le public anglais, qui délaisse ses œuvres opératiques. Dans ce genre prévu pour être interprété sans mise en scène, il mélange savamment les recettes qui ont fait le succès de ses opéras, et son savoir-faire en termes d’œuvres sacrées. Dans la version en deux actes présentée par le chef Václav Luks, la première est ainsi théâtrale, narrant par un enchaînement de récitatifs, de chœurs et d’airs, les sept plaies d’Egypte et la fuite des juifs au milieu des flots de la Mer Rouge, qui anéantiront l’armée de Pharaon. La seconde, uniquement construite à partir de fragments du livre de l’Exode (des psaumes s’intercalent dans la première partie), est plus contemplative.
Václav Luks dirige avec fougue et à mains nues son orchestre et son chœur Collegium 1704, sautant et tapant des pieds avec passion. En cohérence avec la construction de l’œuvre, il livre une première partie très expressive (coups d’archets accentués pour figurer la peur, longues phrases effilées pour peindre la caresse du vent sur le sable du désert, bourdonnements des cordes, etc.) et une seconde plus lyrique et nuancée.
Le chœur se montre incisif. Les timbres angéliques des soprani s’appuient sur les parties de ténor. L’ensemble se montre équilibré et en place dans ses entrées en imitation, mais manque de basses lorsque les pupitres chantent en homorythmie. Ces dernières sont pourtant magnifiques lorsqu’est évoquée l’obscurité qui couvre l’Egypte, ou l’engloutissement de Pharaon. La qualité des artistes de cet ensemble frappe d'ailleurs lorsque trois solistes s’en détachent. Helena Hozová offre un soprano fruité et une projection douce et savoureuse. Jaromír Nosek ornemente son phrasé solennel. Sa voix riche dans les graves s’ouvre comme une lumière d’espoir. Quant à Tomáš Král, il dispose d’une voix puissante et large, incorporant beaucoup d’air pour dessiner un timbre onctueux. Peu à l’aise dans la vocalise, il se montre en revanche très expressif, variant les nuances et les couleurs vocales.
La soprano Johanna Winkel dispose d’un timbre ombragé. Elle décoche des aigus percutants par une projection très directe, qu’elle laisse cependant retomber en fin de phrase. Sa voix droite est bien construite et se fond dans un vibrato léger mais intense. Elle conclut la pièce depuis le fond de la Chapelle dans un effet de spatialisation réussi. Benno Schachtner, contreténor, expose une voix bien assise. Détaché de sa partition, il décrit avec un sourire en coin les grenouilles et les pustules qui punissent les Egyptiens. Sa voix veloutée et lumineuse manque d’aspérité. Ses vocalises coulent dans un torrent expressif mais délicat. Le ténor Krystian Adam, qui assume l’intégralité des récitatifs, a de fait un rôle de conteur, ce qui tombe mal car son anglais souffre d’un très fort accent. La voix, corsée, porte le texte grâce à une projection s’appuyant sur un ancrage massif. Le grave est chaud et l’aigu délicat.
Après des applaudissements nourris, ce sont des commentaires dithyrambiques qui émergent du public ravi durant la sortie de la splendide Chapelle royale de Versailles.