Direction de l'Opéra de Paris : les profils des 11 candidats
Stéphane Lissner quittera son poste de Directeur de l'Opéra national de Paris à l'été 2021, atteint par la limite d'âge fixée à 67 ans (il en aura 68 à la fin de son mandat). Il aura toutefois fallu attendre la nomination d'un nouveau Président du conseil d'administration de l'Opéra (Jean-Pierre Clamadieu) puis celle d'un nouveau Ministre de la Culture (Franck Riester) en octobre 2018 pour que soit véritablement initiée la procédure de recrutement d'un successeur, alors que les saisons lyriques se préparent plusieurs années à l'avance (notamment les commandes de mises en scène mais surtout l'engagement des meilleurs artistes internationaux). Le Ministère annonçait ainsi en janvier dernier la constitution d'un comité d'audition chargé d'éclairer l'appréciation du Ministre (le Directeur général de l’Opéra national de Paris est nommé par décret du Président de la République sur proposition du Ministre de la Culture).
Ce comité est composé de :
- Jean-Pierre Clamadieu, Président du Conseil d’administration de l’établissement et président du comité ;
- Laurent Bayle, Directeur général de la Cité de la Musique-Philharmonie de Paris ;
- James Conlon, chef d’orchestre ;
- Sylviane Tarsot-Gillery, Directrice générale de la création artistique du Ministère de la Culture ;
- Sasha Waltz, chorégraphe et danseuse.
La fiche de poste est ainsi décrite :
Professionnel reconnu ayant acquis une solide expérience dans la direction d’une institution lyrique, le futur Directeur général ou la future directrice générale de l’Opéra national de Paris aura pour mission de :
- proposer un projet d’établissement qui maintienne et développe la qualité artistique des productions lyriques et chorégraphiques en consolidant le modèle économique, notamment par le développement de ressources propres et en intégrant les enjeux numériques ;
- veiller à la diversification du public, notamment par une action auprès du jeune public ;
- contribuer au développement de l’art lyrique en France notamment par l’accompagnement des jeunes français, grâce en particulier à l’Académie de l’Opéra ;
- mettre en œuvre les chantiers de modernisation sociale et organisationnelle engagé par son prédécesseur.
Sur ces bases, le comité auditionne en ce moment onze candidats. Voici leurs profils :
Peter de Caluwe (56 ans) - Directeur de La Monnaie de Bruxelles, successeur de Gérard Mortier
Dramaturge belge (né en 1963), il dirige La Monnaie de Bruxelles depuis 2007 et il vient tout juste (en décembre dernier) d'y être renouvelé pour un troisième mandat, courant jusqu'en 2025. Dès l'âge de 22 ans et encore étudiant, il est engagé comme dramaturge par le Directeur de La Monnaie, Gérard Mortier (qui dirigera l'Opéra de Paris entre 2004 et 2009). Peter de Caluwe passe ensuite par l'Opéra national des Pays-Bas en 1990 (auprès de Pierre Audi, actuel Directeur du Festival d'Aix-en-Provence) où il exerce plusieurs fonctions : d'abord Directeur de la communication interne et externe, puis Directeur du casting (en 1994) et enfin coordinateur artistique (en 1998). Différentes fonctions utiles à combiner pour un Directeur général. Il a également dû se confronter aux difficultés financières que rencontrent incessamment les maisons d'opéra et à deux saisons compliquées par les travaux du théâtre.
Peter de Caluwe répond aux attentes de la fiche de poste par sa longue expérience à la tête d'une grande maison d'opéra qui possède en outre une programmation de danse (bien qu'elle n'ait pas de corps de ballet résidant). En revanche, La Monnaie ne dispose pas d'un centre de formation des jeunes chanteurs à l'instar de l'Académie de l'Opéra de Paris. Il mène à Bruxelles une politique tarifaire engagée envers les jeunes et les publics en difficulté (les prix vont de 10€ à 169€ pour les opéras, 10€ à 59€ pour les concerts et récitals) et il s'intéresse aux esthétiques contemporaines en vogue à Paris bien qu'elles ne fassent pas l'unanimité. Enfin, sa maison est tournée vers le numérique, entre autres avec la diffusion en streaming vidéo de toutes les productions lyriques.
Christophe Ghristi (50 ans) - Directeur du Capitole de Toulouse, dramaturge à l'Opéra de Paris à l'époque de Gérard Mortier
Directeur du Capitole de Toulouse depuis seulement un an, il figurait parmi les favoris à tel point que le Maire de Toulouse condamna fortement cette hypothèse dès octobre 2018 : "1 processus de départ pr Paris, comme évoqué ds la presse, serait 1 coup dur, moralement choquant" (sic). Christophe Ghristi s'est vu obligé de démentir dans la foulée : "je tiens à déclarer que le seul futur qui vaille à mes yeux est aujourd'hui ma présence au Théâtre du Capitole de Toulouse". Il est pourtant bel et bien candidat aujourd'hui.
Dramaturge de profession, Christophe Ghristi occupait cette fonction au Capitole de Toulouse entre 1995 et 2007, avant de passer à l'Opéra de Paris. Il y resta jusqu'en 2014 en tant que Directeur de la dramaturgie en charge des éditions et de la pédagogie, de la communication et des expositions mais également de la programmation du Studio et de l’Amphithéâtre qu'il dirigeait également.
Ce temps passé à Paris témoigne en faveur de sa connaissance du fonctionnement de la maison, mais il est désavantagé par son manque d'expérience dans des fonctions de Directeur général. Cela étant, à Toulouse, il dirige l'opéra et le ballet, ainsi qu'un programme éducatif et artistique consacré à la jeunesse (comme requis). Enfin, il figure parmi les plus jeunes des candidats, ce qui pourrait jouer en sa faveur dans le cas où le Ministère souhaite nommer un directeur sur le long terme et pour plusieurs mandats.
Alexander Neef (45 ans) - Directeur de l'Opéra de Toronto et ancien Directeur de casting de Gérard Mortier à l'Opéra de Paris
Directeur général de la Compagnie nationale d'opéra du Canada à Toronto (depuis 2008) et parallèlement directeur artistique de l'Opéra de Santa Fe (depuis un an) il est le plus jeune des candidats (46 ans). Lui aussi fut un collaborateur très proche de Gérard Mortier : il était son Directeur de casting à l'Opéra de Paris de 2004 à 2008.
Il possède donc, à la fois, les compétences dans la conception artistique, le recrutement des chanteurs et dans la gestion économique d'un théâtre d'opéra. De plus, il devrait conserver l'ouverture vis-à-vis des jeunes, des nouvelles technologies et esthétiques. Cependant, mais comme pour la plupart des postulants, son angle principal est l'opéra alors qu'il faudra un gestionnaire du ballet, qui sache améliorer et repenser les conditions de travail pour les danseuses et danseurs.
Joan Matabosch (57 ans) - Directeur artistique de l'Opéra de Madrid (où il a succédé à Gérard Mortier)
Le Directeur artistique du Teatro Real à Madrid depuis 2014 est âgé de 57 ans. Avec son mandat au Teatro Liceu de Barcelone entre 1997 et 2014, il est doté d'une forte expérience dans la direction de maisons internationales d'opéra. Lui aussi suit le fil artistique de Gérard Mortier, son prédécesseur à Madrid, en poursuivant sa programmation de créations, l'invitation de grands metteurs en scène internationaux et la redécouverte d'œuvres rares. Il est en outre habitué à travailler dans des conditions de crise et à réinventer des schémas économiques suite aux réductions des subventions publiques.
Le théâtre madrilène n'a pas de corps de ballet mais il propose tout de même une programmation de danse, en invitant régulièrement les grandes troupes internationales (cette saison y dansait le Ballet de l'OnP).
Christina Scheppelmann (54 ans) - Directrice artistique sortante à l'Opéra de Barcelone
Directrice artistique du Liceu de Barcelone jusqu'à fin 2019 et seule femme sur la liste des candidats, elle a fait une longue carrière dans le monde lyrique, d'abord en tant qu'assistante de l'Administrateur artistique à l'Opéra de San Francisco en 1994, Directrice artistique côtoyant Placido Domingo (Directeur général) à Washington pendant onze ans (de 2001 à 2012) et ensuite Directrice de l'Opéra royal de Mascate d'Oman. Enfin, elle a pris la fonction de Directrice artistique à Barcelone en 2015 et son mandat s'achève à la fin de cette année.
Christina Scheppelmann n'a tenu la direction générale que de l'Opéra de Mascate, mais sa grande expérience en direction artistique lui permet de bien connaître les artistes, et notamment les jeunes artistes (plusieurs chanteurs de l'Académie de l'Opéra de Paris -Juan de Dios Mateos Segura et Adriana Gonzalez par exemple- ont d'ailleurs obtenu leurs premiers grands rôles au Liceu). Sa nomination permettrait d'enfin confier la direction de l'Opéra de Paris à une femme.
Mise à jour du 25/03 : Christina Scheppelmann a retiré sa candidature.
Jean-Marie Blanchard (63 ans) - Ancien Administrateur général de l'Opéra Bastille, ancien Directeur de l'Opéra de Genève, ancien collaborateur de Stéphane Lissner (au Théâtre du Châtelet)
Homme de lettres, Directeur des éditions "Parution" spécialisées dans les ouvrages pour la jeunesse et les ouvrages sur la musique, il est également le Rédacteur en chef de la revue "Musical". Conseiller artistique au Théâtre du Châtelet de Paris entre 1987 et 1992 (avec Stéphane Lissner, Directeur des lieux de 1988 à 1997), il connaît l'Opéra de Paris pour avoir été Administrateur général de l'Opéra Bastille (aux côtés de Brigitte Lefèvre, qui administre l'Opéra Garnier). Jean-Marie Blanchard dirige ensuite plusieurs maisons d'opéra : celui de Nancy (il est également Administrateur général de l'Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy) de 1996 à 2001 puis celui du Grand Théâtre de Genève de 2001 à 2009. Enfin, il dirige le Wagner-Geneva-Festival pour le bicentenaire du compositeur, en 2013.
Connaisseur de l'institution parisienne, il a également une solide expérience dans la direction d'opéra, notamment à la tête de la maison genevoise qui dispose d'un corps de ballet. Son âge ne lui permettrait toutefois que de faire un mandat unique.
Olivier Mantei (54 ans) - Directeur de l'Opéra Comique et du Théâtre des Bouffes du Nord et ancien collaborateur de Stéphane Lissner
Directeur de l'Opéra Comique à Paris, il y a succédé Jérôme Deschamps en 2015, auprès duquel il était Directeur adjoint. Docteur en musicologie, il est également l'ancien administrateur du chœur Accentus (fondé en 1993). Dans les années 2000, il travaille avec Stéphane Lissner au Théâtre des Bouffes du Nord (que Lissner et Peter Brook co-dirigent de 1998 à 2005) où il organise la saison musicale avant d'en reprendre la direction à partir de 2010 (en menant toujours l'Opéra Comique).
Olivier Mantei sait comment s'appuyer sur le travail de ses prédécesseurs tout en faisant innover le fonctionnement. À l'Opéra Comique, il a réussi à augmenter les coproductions et le nombre de représentations, tout en préservant la politique artistique qui comprend créations, grands chef-d’œuvres du genre et renouveau du répertoire maison. Il y a créé une politique tarifaire pour les jeunes jusqu'à 35 ans (35 euros pour les moins de 35 ans), qui inspirera la saison suivante le tarif à 40 euros pour les moins de 40 ans à l'Opéra de Paris. Autant d'atouts pour les tutelles qui visent la rentabilité des lieux, et notamment de la salle modulable, ainsi que la capacité à rajeunir le public. S'il n'a pas d'Académie à l'Opéra Comique, il y a créé sa Maîtrise Populaire, dont la qualité est déjà établie ainsi que La Nouvelle Troupe Favart. Il lui manque toutefois de l'expérience dans le domaine chorégraphique.
Jean-Louis Grinda (58 ans) - Directeur de l'Opéra de Monte-Carlo et des Chorégies d'Orange
À 58 ans et continuant toujours d'exercer en parallèle son métier de metteur en scène, il est à la tête de la maison monégasque depuis 2007 et du Festival des Chorégies d'Orange depuis la dernière édition. Entre 1998 et 2007, il dirige l'Opéra Royal de Wallonie à Liège. Grinda est également impliqué en politique : il est réélu en 2018, en tant que tête de liste, au Conseil national (le Parlement de Monaco).
Sa longue présence dans le monde de l'opéra (francophone) et l'exercice du métier de directeur, ainsi que son habileté pour s'entretenir avec les représentants politiques qui financent l'opéra le rangent parmi les candidats en vue. Il mène une politique de prestige à l'Opéra de Monte-Carlo, sachant attirer de grands noms. Il a ainsi pu inviter la célèbre Cecilia Bartoli à devenir Directrice artistique d'un nouvel orchestre nommé Les Musiciens du Prince-Monaco (soutenus par le Prince Albert II). Dans la période récente, il a également soutenu la redécouverte d'œuvres rarement jouées comme la version française de Tannhäuser. Aux Chorégies, il a renouvelé le répertoire par une programmation ambitieuse (Mefistofele en 2018, Guillaume Tell en 2019) et a baissé les prix des places malgré une situation financière sous pression.
Dominique Meyer (63 ans) - Directeur de l'Opéra d'État de Vienne et ancien Directeur du Théâtre des Champs-Élysées (le candidat le plus expérimenté)
Expérimenté au point de rassurer les tutelles et en passant juste en-dessous de la limite d'âge pour débuter un mandat (il a deux ans de moins que Lissner). Il achèvera son mandat à la direction de l'Opéra viennois en 2020. Il menait avant cela une autre institution d'envergure depuis de 1999 : le Théâtre des Champs-Élysées. Il a également occupé la fonction de Directeur général à l'Opéra de Lausanne entre 1994 et 1999. Pour ce qui est de l'Opéra de Paris, il y a figuré comme membre du Conseil d'Administration de 1986 à 1988.
Candidat le plus taillé pour le rôle (il a dirigé des institutions d'un prestige équivalent à celui de l'Opéra de Paris, à géré et programmé des corps de ballet dans la plupart des institutions qu'il a dirigées et fut même président des Ballets Preljocaj pendant 16 ans de 1991 à 2007), il présente l'inconvénient de ne pouvoir, comme Jean-Marie Blanchard, réaliser qu'un unique mandat s'il était nommé.
Laurent Joyeux (46 ans) - Directeur de l'Opéra de Dijon
À 46 ans, il dirige l'Opéra de Dijon depuis 2007. Gestionnaire de formation, il est chargé de la section culture et de la gestion financière à la ville de Guyancourt (de 1999 à 2002), puis il est Directeur administratif et financier à l'Opéra de Lille (entre 2002 et 2007). À l'Opéra de Dijon qu'il dirige actuellement, il offre une programmation ambitieuse dans le grand auditorium (1600 places) qui lui est confié. Il y mène une intense politique en faveur du jeune public et des publics éloignés. En revanche, il n'a jamais dirigé de corps de ballet (même si l'Opéra de Dijon dispose d'une programmation de danse).
Marc Minkowski (56 ans) - Chef d'orchestre, Directeur général de l'Opéra de Bordeaux et des Musiciens du Louvre
Actuellement directeur et chef d'orchestre à l'Opéra de Bordeaux, il mène une carrière musicale importante en France ainsi qu'à l'étranger avec son orchestre Les Musiciens du Louvre fondé en 1982 et originellement dédié à la musique baroque française. Ce n'est pas sa première candidature pour la direction d'une institution lyrique : en 2014 il convoitait l'Opéra Comique (finalement attribué à Olivier Mantei). L'année suivante, il obtient son poste à Bordeaux où il parvient à engager des artistes de renommée internationale (Jonas Kaufmann, Sonya Yoncheva, Renée Fleming, Elīna Garanča, etc.).
Comme Christophe Ghristi, il n'est qu'au début de sa première expérience de direction d'opéra, à Bordeaux où il a été renouvelé en décembre dernier jusqu'en 2022.