Sonya Yoncheva en récital, l’Italie à Monte-Carlo
Les Monégasques attendaient ces retrouvailles avec Sonya Yoncheva avec impatience, frustrés par ses annulations de 2016 et 2017 (Alcina, puis Manon, pour ce qui aurait dû être une prise de rôle). La chanteuse venant par ailleurs tout juste de déclarer forfait pour ses Traviata programmées à La Scala (initialement prévues dans quelques jours, les 12, 14 et 17 mars prochains), des incertitudes légitimes pesaient sur ce concert. D’autant que ce même programme, annoncé à La Scala en février 2018, avait aussi été annulé. Reporté en septembre dernier, ce « concert de rattrapage » a de nouveau été annulé, de même qu’une soirée zurichoise en novembre dernier (avec toujours le même programme). Mais Sonya Yoncheva a bel et bien répondu présente au rendez-vous monégasque, et s’y est montrée dans une bonne forme vocale, au regard du programme proposé qui, il est vrai, ne présentait guère de difficultés majeures.
La soprano offre un récital de mélodies italiennes comportant des œuvres de Verdi, Leoncavallo, Ruta, Tosti, Martucci, Tirindelli et Puccini – quelques airs d’opéras étant proposés en bis (le second air de Mimi, "O mio babbino caro" de Gianni Schicchi et la « petite table » de Manon). Parmi les mélodies proposées, assez rarement entendues, celles de Verdi et de Puccini sont particulièrement intéressantes puisqu’elles font entendre des motifs que les compositeurs reprendront et développeront dans certains airs de leurs opéras : ainsi "In solitaria stanza" de Verdi (1838), présente quinze ans avant Le Trouvère, la phrase musicale chantée par Léonore dans son premier air : "Dolci s'udiro e flebili…". Quant à Puccini, il glisse dans "Sole e amore" (1888) des passages du duo qui clôt le troisième acte de La Bohème (1896), et dans "Mentìa l’avviso" (1883) la mélodie de l’air de Des Grieux : "Donna non vidi mai…" (Manon Lescaut, 1893).
Le concert frappe certes par sa brièveté (un peu plus d’une heure de musique, bis inclus sur les deux heures avec entracte de 25 minutes annoncées), et notamment pour la première partie : six mélodies de Verdi pour 20/25 minutes de chant. Verdi ayant composé, outre plusieurs mélodies isolées, deux recueils de six mélodies chacun, il était pourtant aisé de proposer une première partie plus dense. Les mélodies choisies, en général très courtes, permettent à la chanteuse de rester presque toujours dans sa zone de confort, privilégiant les graves et le médium qui semblent, au fil des années, devenir de plus en plus ambrés et veloutés. Les quelques excursions vers l’aigu sont relativement rares (elles sont plus présentes dans la seconde partie), mais convaincantes : forte mais non criées, bien vibrées et gardant une certaine rondeur. Surtout, elles sont toutes justes – sauf dans Gianni Schicchi où se retrouvent certains aigus légèrement trop bas (petit défaut souvent récurrent chez Sonya Yoncheva, et assez surprenant pour une chanteuse qui, il n’y a guère, chantait encore Lucia et Olympia). L’aigu pianissimo ou même piano reste en revanche toujours rebelle, malgré une tentative dans l’avant-dernier « Babbo, pietà » de Lauretta (Gianni Schicchi). Le timbre est toujours extrêmement séduisant, avec notamment une liaison entre les registres facile et élégante. L’attention aux mots est constante et l’artiste sait donner à chaque mélodie l’atmosphère qui lui est propre, de l’émotion retenue d’ « Adieu, notre petite table » (dans un français très pur) au dramatisme affirmé de pièces telles que « Perduta ho la pace » (version verdienne de Marguerite au rouet), ou surtout « Al folto bosco » (Martucci). C’est d’ailleurs dans les mélodies les plus dramatiques que Sonya Yoncheva semble le plus à son aise, l’ambiance feutrée de certaines pièces correspondant peut-être moins au tempérament de l’interprète, et de ce fait, les bis opératiques sont particulièrement bien accueillis par le public, même si l’extrait de La Bohème fait entendre une Mimi pleine de santé et non pas souffreteuse comme elle est censée l’être à ce stade de la pièce !
L’accompagnement au piano d’Antoine Palloc se montre aussi convaincant dans le jeu quasi impressionniste des premières mesures d’Ideale (Tosti) que dans les volutes plus sombres et tourmentées d’Al folto bosco, tout en restant constamment attentif à la chanteuse.
Une soirée qui aurait donné envie d'en entendre bien davantage, mais intéressante musicalement et rassurante sur la santé vocale de Sonya Yoncheva.