Pretty Yende et Javier Camarena triomphent avec La Fille du Régiment en direct du Met
Créée il y a plus de dix ans, cette production de La Fille du Régiment de Donizetti signée Laurent Pelly séduit toujours autant les maisons d’opéra et indéniablement les spectateurs. Par l’efficacité de ses décors, imaginés par Chantal Thomas, à la fois simples et graphiques : de gigantesques cartes déployées sur la scène forment les montagnes du Tyrol au premier acte, décor seulement agrémenté de quelques accessoires quand cela est nécessaire. Le deuxième acte voit ce décor complété par les appartements de la Marquise de Berkenfield, tout en bois, laissant apparaître par leurs murs ouverts les montagnes du premier acte. Également car la mise en espace, ainsi épurée mais toujours dynamique, laisse toute la place au jeu des chanteurs et du chœur, autant dans les parties chantées que parlées, ce qui crée des moments de théâtre comiques ou poignants. Les costumes, également de la main du metteur en scène, s’attachent à donner vie aux protagonistes et à affirmer leur caractère, comme des personnages de bande-dessinée.
Cette soirée placée sous le signe du théâtre peut compter sur la direction enjouée d’Enrique Mazzola, qui, à la tête de l’Orchestre du Metropolitan Opera, semble beaucoup s’amuser, et ce dès l’ouverture particulièrement énergique. Il parvient également à émouvoir dans l’accompagnement des arias plus tendres, laissant la ligne mélodique se développer avec douceur, mettant en avant toutes les qualités des chanteurs.
Pour assurer le rôle parlé de la Duchesse de Crakentorp, la direction du Met a fait appel à la comédienne américaine Kathleen Turner. De sa voix grave et avec une sorte de mauvaise humeur perpétuelle, elle déclame son texte dans un fort accent américain qui accentue encore le comique de son personnage. La Marquise de Berkenfield est interprétée par une grande voix américaine, celle de la mezzo-soprano Stephanie Blythe, qui démontre une grande maîtrise du français dans les passages parlés et chantés. Elle se sert de sa tessiture très large et de sa facilité à descendre dans le grave pour donner des couleurs à son personnage. Le duo qu’elle forme avec le Hortensius de Paul Corona est savoureux, ce dernier étant particulièrement à l’aise dans les habits de l’intendant maladroit de la Marquise.
Maurizio Muraro, interprète du rôle de Sulpice, est annoncé souffrant d’un rhume en début de spectacle. La voix est effectivement un peu recouverte, notamment dans la première partie, mais la basse italienne conserve toujours un beau timbre et une sensibilité qu’il met au service de son personnage.
L’attention du public est forcément concentrée sur le duo d’amoureux. Le ténor mexicain Javier Camarena est un Tonio jovial, dégageant une joie juvénile et une théâtralité très touchantes. Il semble réellement prendre plaisir à incarner ce personnage dont il est l'un des interprètes de référence aujourd'hui, et sa ligne est émise avec un naturel déconcertant. Sa diction du français parlé ou chanté est excellente, son timbre équilibré et son phrasé délicat. Les aigus, puisqu’il en est particulièrement question dans ce rôle, sont sonores et agiles, les neuf contre-ut de « Ah, mes amis » ne semblant poser aucune difficulté au chanteur, puisque celui-ci l'offre en bis à la demande du public new-yorkais qui exulte littéralement à la fin de l’aria et de sa reprise. De la même manière, le contre-ré bémol de l’émouvant « Pour me rapprocher de Marie », ainsi que toute la musicalité qu’insuffle le ténor tout au long de l’aria, fait de nouveau chavirer les spectateurs au deuxième acte.
Enfin, Pretty Yende incarne une Marie tout aussi théâtrale et énergique que son partenaire. La soprano sud-africaine s’approprie le personnage composé par Laurent Pelly, jouant sur le contraste entre la Marie garçon manqué de l’acte I et la Marie entrée de force dans le carcan de la bourgeoisie de l’acte II. Elle démontre de vraies qualités comiques et personnalise le rôle en y ajoutant notamment un délicieux monologue en zoulou dans la première partie ! Si la prononciation du français est perfectible, son accent s’accorde plutôt bien avec la bonhomie du personnage. Vocalement, son agilité dans l’aigu lui permet des ornementations belcantistes. Son souffle maîtrisé et son timbre ambré font mouche dans les arias plus lentes (« Il faut partir ») où elle se montre particulièrement émouvante.
Elle partage avec Javier Camarena une ovation debout de la part des spectateurs new-yorkais très enthousiastes lors des saluts finaux.