Dialogues des Carmélites à Stockholm : l'épure des pures
Après
quelques années d’absence, Dialogues
des Carmélites
est repris à l’Opéra de Stockholm dans une mise en scène signée
Johanna Garpe (dont la nouvelle Carmen vient de faire sa première in loco et sur nos pages). Ici divisé en deux sections, le
chef-d’œuvre de Poulenc est encadré par des décors (Per A Jonsson) et des costumes (Nina Sandström) qui rappellent l’époque
de la Révolution : sur un plateau rond et meublé, les simples
habits des sœurs contrastent avec les élégantes tenues bleues des
aristocrates. Sans portes, sans indications de lieu, les rares
changements de décors (ou plutôt le déplacement de fauteuils et de
lits), sont principalement effectués par les sœurs elles-mêmes. Le livret souligne
l’importance des circonstances du drame : à son époque, « des
temps comme ceux-ci » renvoyaient à la Révolution française,
selon le même principe actualisé, Garpe choisit d’intensifier le
drame par les pommes de discorde de notre époque (en particulier une
référence aux mouvances néonazies en Suède, facilement
reconnaissable du public local).
Le plateau vocal offre une série de portraits qui, dans son ensemble, définit les personnages du drame par des caractérisations stables mais certes peu variées des interprètes. En Sœur Constance, Sofie Asplund arbore essentiellement une expression enjouée et gazouillante. Elle tient aisément de longues lignes dans son registre haut et sait s’adapter aux ondulations dynamiques et dramatiques de l’orchestre. Susanne Resmark incarne une Mère Marie plus autoritaire et percutante que maternelle, lui prêtant son instrument solide et beau, qu’elle mène au bout de ses forces avec une palette d’expressions limitée. Sara Olsson s’efforce de rendre justice au rôle de Madame Lidoine et à sa tessiture peu confortable pour elle, ce qui provoque maintes intonations imprécises, tout en la forçant à sacrifier son jeu direct pour se préoccuper de l’unité de ses registres.
La Blanche de Camilla Tilling fait le trajet de l’adolescente quelque peu blasée jusqu'à la sœur concernée et énergique. Son chant se caractérise par un mélange d’un haut registre maîtrisé et des graves souvent incommodément enclins au mélodrame, bien qu’elle gagne vocalement en équilibre de timbre à mesure de la soirée. Il en va de même pour Anne Sofie von Otter (Madame de Croissy), dont le registre grave ne lui permet que des soufflements, en saisissant contraste avec la puissance de ses aigus. Son expertise de la diction et la prosodie du français, ainsi que son phrasé en un legato extrême des émotions incarnées dans son jeu physique, aident à contrebalancer ce qui empêche le développement vocal du portrait de la Prieure mourante. Dans le rôle de la Mère Jeanne, Johanna Sannefors impressionne par son engagement avec un chant chaleureux et dense dans tous les registres.
En Marquis de la Force, Jeremy Carpenter incarne aimablement un père indolent par une gestique naturelle, chantant avec un baryton lyrique. Son fils (Joel Annmo) s’investit davantage dans le sort de Blanche, sa sœur. Son parler sincère et concerné est poussé dans la direction de la frustration lors du duo avec Blanche (un temps fort de la soirée), et le timbre de son ténor finement équilibré, jusqu’à sa voix de tête mirifique, s’unit avec un bon instinct pour l’expression appropriée face à l’orchestre et au drame. Klas Hedlund prête son beau ténor léger à l’Aumônier et investit son engagement dans le portrait, bien que sa diction du français soit un peu instable.
Les prestations de Marc Soustrot et de l’orchestre maison sont à la fois distinctes et marquées par des imprécisions. Un décalage entre fosse et plateau (surtout dans le premier tableau) ainsi qu’une instabilité des cuivres et un volume souvent juste au-dessus de celui des chanteurs déséquilibrent l’architectonique bien conçue du chef français, qui s’appuie sur les nombreux silences et pauses indiquées par la partition. Les contrastes entre les scènes ou les émotions enchaînées sont très accentués, comme s’il s’agissait de contrebalancer l’immuabilité des décors. Outre l’importance accordée à la clarté de la forme musicale, l’interprétation manifeste son sens pour l’acuité des moments dramatiques, bien que les points culminants soient parfois minimisés, et Soustrot rend les passages dissonants sans les faire ressortir davantage, mais également sans tenter de les cacher. La sonorité riche est plutôt douce.