Les Mozart de l’Opéra 2019 : hommage, concert, palmarès et vidéo
Le 1er Prix du Jury & Prix du Public 2019 est décerné au baryton russe Ilya Kutyukhin qui fait donc l'unanimité. Comme chacun des dix finalistes (parmi plus de 400 candidats auditionnés à l'international), il interprète ce soir un air soliste et (au moins) un ensemble. Ilya Kutyukhin séduit par la noblesse suave et intense, oxymore typiquement slave, dans son répertoire national ("Ya vas lyublyu"-Je vous aime dans La Dame de Pique de Tchaïkovski) tout comme dans un français remarqué, intelligible en duo ("Pour la fête, préviens toute la Cour" extrait de La Favorite, Donizetti). Le souffle associe le phrasé à l'expression et même le menton un peu baissé pour creuser des résonances contribue à camper le caractère.
Pour de nombreuses raisons, le 2ème Prix du Jury est une performance de premier plan : il est en effet décroché par Jérôme Boutillier qui n'était pas censé participer au concours (il remplace un candidat souffrant). Le baryton français a donc dû travailler les ensembles prévus par ses camarades, mais il y montre sa noble aisance scénique. Il a pu surtout choisir son air de bravoure : la terrible et sublime Mort de Posa dans Don Carlos de Verdi (la version française, immortalisée par Ludovic Tézier à Bastille la saison dernière). Jérôme Boutillier la déploie à la mesure de cette salle et de cette œuvre, dans une intensité habitée alors qu'il doit jouer seul (comme Tézier d'ailleurs à Bastille, il doit ensuite partir discrètement en coulisse, bien que mort). Jérôme Boutillier confirme ainsi les raisons qui font de lui un habitué des scènes et de nos pages (de Genève à Venise en passant par Versailles ou Massy et vous pouvez réserver pour le voir dans Maître Péronilla d'Offenbach au Théâtre des Champs-Élysées).
3ème Prix du Jury : Mélissa Petit (soprano, France). Homogénéité et douceur de registre comme de timbre cotonneux caractérisent sa voix, mais elle sait animer d'accent la ligne mélodique de La Somnambule ("Ah ! non credea") avec endurance jusqu'au suraigu (les vocalises glissant cependant sur la justesse).
Comme hélas trop souvent dans les concours et auditions, certains jeunes artistes choisissent des airs démesurés, logiquement réservés aux carrières bien avancées et aux voix maturées. C'est sans doute ce qui coûte à Zlata Khershberg (mezzo-soprano d'Israël) sa présence parmi les lauréats. Choisissant "Acerba voluttà" (air de la tragédienne Adriana Lecouvreur composé par Francesco Cilea), elle compense certes un manque de volume pour les forte par l'effet dramatique d'un grave appui poitriné et une aisance sur l'autre bout de la tessiture (un aigu bien ancré). Sa Reine d'Hamlet (Ambroise Thomas) est royale malgré le français difficile.
Dans l'esprit de cette soirée internationale où les interprètes européens, américains, russe et asiatique chantent dans différentes langues de l'opéra (rappelant les talents et le travail des jeunes générations), le baryton Benjamin Lewis (Royaume-Uni) interprète La Fiancée du tsar de Nikolaï Rimski-Korsakov avec une articulation et des couleurs slaves : dans la prononciation comme dans l'aigu tiré à dessein, même s'il ne fait encore que caresser de loin le grave et ses résonances sombres. Prononciation toujours, son Hamlet (Ambroise Thomas) propose un français remarquable, mais sans la terrible rage contenue qui fait de cet air l'un des plus cruels du répertoire et du théâtre de Shakespeare ("Allez dans un cloître") en poussant Ophélie au suicide.
Julia Sitkovetsky (soprano, Royaume-Uni) presse dans les terribles et fameuses vocalises de La Reine de la nuit (La Flûte enchantée de Mozart) mais avec un ancrage énergique. Elle rappelle ainsi qu'elle n'est pas que colorature, a fortiori en chantant une Lucia di Lammermoor certes un peu tremblante et fluctuante, mais qui s’appuie sur un souffle sûr et contrôlé, en longueur et en débit ("Verranno a te sull'aure"). Son Edgardo (David Astorga, originaire Costa Rica) a une couverture de ténor pleinement placée et pincée, ponctuée de décrochements lyriques remarqués : autant d'effets vocaux qui ont étonnamment été travaillés avant l'assise, la matière sonore, son épanouissement et son volume.
Yaritza Veliz (soprano du Chili) chante "Deh vieni, non tardar" (air de Susanna dans Les Noces de Figaro de Mozart) d'une voix bien appuyée, montant doucement vers un aigu marqué tout en gardant sa rondeur, pour descendre mezza voce, susurrant des r rondement roulés et nourrissant un tempo ample.
Lilly Jørstad (mezzo-soprano de Norvège) est tellement heureuse et souriante qu'elle en oublie d'exprimer tout le sens de "Nacqui all’affanno e al pianto" (Je suis née dans la peine et les larmes) de La Cenerentola (Cendrillon par Rossini). Les vocalises et trilles notamment sont aisés, accompagnés des épaules et de la tête, sur de ronds résonateurs aigus. Le souffle fluctue par attaques et diminuendi.
Shan Huang (Chine) enfin, ténor au placement nasalisant gagne en volume au fil de son air "Cercherò lontana terra" (Don Pasquale de Donizetti), le soutien fatiguant est compensé par un engagement appuyé (également scénique dans son duo de L'Élixir d'amour du même compositeur) et des redescentes adoucies (mais l'aigu final excède les possibilités).
L'Orchestre Prométhée prend le temps de l'ouverture de Carmen et de la soirée pour essayer différents tempi et synchronisations, mais il se montre ensuite au service des interprètes et du concours, mesurant le volume aux intensités et intentions des chanteurs. Pierre-Michel Durand, plus que chef d'orchestre se fait chef de chant, dirigeant les solistes vocaux, les guidant, les rattrapant ou attendant (quitte à faire interrompre l'accompagnement une mesure ou plus).
Les morceaux se succèdent ainsi, les artistes entrant toutefois avant leurs interventions et restant quelque temps après afin d'interagir avec leurs collègues, le tout devant la vidéo d'un paysage sylvestre vallonné aux couleurs changeantes (toutefois bien plus discrètes que les puissants stylos-lampes avec lesquels les jurés prennent des notes et éclairent la salle telles des lucioles à la corbeille).
À l'issue de ces différents morceaux enchaînés, le public acclame les jeunes interprètes, vote par sms et attend anxieusement l'annonce des résultats par le prestigieux jury :
Anne Blanchard, Directrice Artistique, Fondatrice et Responsable des Voix du Festival international d'Opéra Baroque et Romantique de Beaune
Peter de Caluwe, Directeur général du Théâtre Royal de la Monnaie
Fabrizio Maria Carminati, Chef d’orchestre
Michel Franck, Directeur général du Théâtre des Champs-Élysées
Christophe Ghristi, Directeur artistique du Théâtre du Capitole de Toulouse
Jean-Louis Grinda, Directeur de l’Opéra de Monte Carlo et des Chorégies d’Orange
Joan Matabosch, Directeur artistique du Teatro Real Madrid
Richard Martet, Rédacteur en chef Opera Magazine
Pal Christian Moe, Casting consultant Bayerische Staatsoper Munich and Glyndebourne Festival Opera
Laurent Pelly, Metteur en scène
Eve Ruggieri, productrice et animatrice française de télévision et de radio
Christoph Seuferle, Directeur artistique Deutsche Oper Berlin
Dmitry Vdovin, Directeur artistique du Young artist Program du Théâtre du Bolchoï