La joyeuse Auberge du cheval blanc régale l’Odéon de Marseille
En 1930, le metteur en scène allemand Erik Charell découvre une comédie-vaudeville viennoise oubliée de Blumenthal et Kadelburg ayant pour cadre la charmante et réputée auberge du Cheval Blanc, au bord du lac Saint-Wolfgang. Resitué dans le cadre féerique des Alpes du Tyrol, le maître d’hôtel Léopold tente d’y séduire la propriétaire de l’auberge, Josepha, malheureusement éprise d’un autre. Après quelques intrigues amoureuses et grâce aux sages conseils de l’Empereur François-Joseph en personne, l’histoire se termine évidemment bien, avec l’union de trois jolis couples. Enchanté par le comique et le folklore de cette pièce, le metteur en scène demande à Hans Müller d’en composer un livret en trois actes et à Ralph Benatzky la musique. La création le 8 novembre 1930 à Berlin remporte un franc succès, dont Paris s’empare deux ans plus tard à Mogador dans une adaptation en deux actes du dramaturge Lucien Besnard et du chansonnier René Dorin. Malgré de nombreuses versions, dont celle donnée régulièrement entre 1948 et 1968 au Théâtre du Châtelet, c’est cette mouture réduite qui est présentée ce week-end au public marseillais.
Confiée à Jack Gervais, la mise en scène n’impressionne pas par de spectaculaires entrées d’un train à vapeur ou d’un bateau sur un plateau tournant, comme lors de la création berlinoise, mais plutôt par sa simplicité ingénieuse et efficace. Deux chalets en carton pâtes, une toile de fond pour le lac et les montagnes, et quelques accessoires suffisent au décor. Celui-ci ne manque pas de vie et d’atmosphères diverses grâce aux effets de lumières, notamment une intéressante utilisation de la lumière noire lors de la reprise par le chœur de la douce mélodie « Je vous emmènerai voguer sur mon bateau ». Comme presque toujours à l’Odéon, si la simplicité des décors est certainement d’abord due à des moyens limités, elle permet surtout une vie scénique permanente, si particulière et chère aux amateurs d’opérettes. Les chorégraphies d’Estelle Lelièvre-Danvers animent à plusieurs reprises quelques intermèdes et les passages où les chœurs se joignent aux huit danseurs. Le tout sans oublier l’importance des nombreux et beaux costumes de la Maison Grout pour compléter cette satisfaction visuelle.
Musicalement, la courte préparation des instrumentistes de l’Orchestre du Théâtre de l’Odéon, placés sous la direction de Bruno Conti, ne permet sans doute pas l’excellence mais elle reste admirable quant au plaisir que chaque musicien communique. Certes, le premier acte fait quelquefois entendre une synchronisation périlleuse entre le plateau et la fosse et quelques traits auraient pu être perfectionnés, notamment dans l’ouverture – aux couleurs des comédies musicales animées américaines des années 1930 (celles de Frank Churchill par exemple). Les artistes du Chœur Phocéen, préparés par Rémy Littolff, sont forts applaudis lors des saluts, grâce à leur investissement scénique et vocal participant à la jovialité générale, et malgré une assurance rythmique limitée (comme leur articulation).
Les solistes ne manquent pas de panache, à commencer par le prétentieux et séduisant Léopold incarné par le ténor Grégory Benchenafi. S’il ne réussit à charmer sa patronne qu’à la moitié du second acte, son tout premier air « Pour être un jour aimé de toi » (digne d’un prince charmant d’animés nord-américains) conquiert le public par son timbre léger et ses vaillants aigus. La chaleureuse soprano Jennifer Michel interprète l’exigeante Josepha avec une expressivité touchante et une rondeur de timbre dont l’amplitude du vibrato empêche toutefois une bonne compréhension du texte. Celui qui la fait d’abord rêver est le fier avocat Guy Florès, interprété par le ténor Marc Larcher, à la voix franche et veloutée de beau-parleur. Lui préfère la jeune Sylvabelle, chantée par Charlotte Bonnet, à la voix ronde et claire, particulièrement dans les graves, mais délicate quant à la justesse des aigus. Son père Bistagne est incarné par l’irremplaçable Antoine Bonelli, membre bien connu de la troupe de l’Odéon dont l’accent et le jargon marseillais est toujours fort apprécié du public. Il n’a droit à aucun air ici, mais fait profiter de ses nombreuses interventions dont aucune ne manque d’effet. Une troisième intrigue amoureuse (pas vraiment indispensable) est offerte par la charmante Clara (Priscilla Beyrand), au zozotement attendrissant, et le "beau" Célestin (Vincent Alary), à la maladresse tout aussi touchante. Sans oublier la sagesse paternelle de l’Empereur Claude Deschamps, la danse extraite de Rabbi Jacob du père de Clara, le professeur Hinzelmann (caricature exagérée du juif par Dominique Desmons), les aigus puissants de la factrice Kathy (Perrine Cabassud) et l’assurance juvénile de Piccolo (par le très jeune Lothaire Lelièvre).
C’est évidemment par un tutti enthousiaste et inlassablement répété « Ô joyeux Tyrol » que se termine cette joviale après-midi à l’Odéon, réchauffant les cœurs comme le soleil illumine la Canebière.