L'Élégance et la sensibilité de Keenlyside à l'Opéra national du Rhin
Pour
qu’un chanteur de la trempe de Simon Keenlyside, amoureux de la
nature aguerri aux duretés du rugby et aux rugosités de la vie en
plein air, demande qu’une annonce soit faite pour informer qu’il
est souffrant, l’auditoire
peut
mesurer l’étendue de l’indisposition. Visiblement très grippé,
le grand baryton anglais –devenu tout récemment irlandais pour
cause de Brexit,
et anobli par le Prince Charles quelques jours seulement avant le
concert strasbourgeois– offre
néanmoins au public sa tenue classieuse.
L’indisposition autant que la déception sont cependant indéniables, dans la partie allemande du programme. Les six Lieder de Brahms sont de toute évidence défigurés par l’impossibilité, en raison de la maladie, de contrôler un instrument habituellement connu pour ses moirures dorées et ses reflets argentés. Étranglements, essoufflements en fin de phrase, pianissimi détimbrés, legato heurté, le malaise engendré pour le public est mêlé d’un fort élan de sympathie et d’une réelle admiration pour le courage et la pugnacité d’un grand artiste visiblement en souffrance.
La deuxième partie du récital, entièrement consacrée à Schubert suite à un changement de programme de dernière minute, accuse encore un regain de fatigue. Le chanteur s’appuie donc ce soir sur un chant syllabique reposant sur la compréhension du texte pour ces mélodies à caractère plus lyrique. Heidenröslein (Petite rose de la lande) est même étonnamment rythmé, d’un élan inhabituel. Ce chant franc et presque brutal, inspiré d’un rapport direct avec la nature, semble presque destiné à corriger certaines lectures du passé marquées par le raffinement et la cérébralité. Une approche qui donne envie d’entendre Keenlyside interpréter les grands cycles schubertiens au sommet de sa forme.
La partie française du programme sied davantage, en raison sans doute du caractère plus déclamé des mélodies de Poulenc et de Ravel retenues pour le concert. Auréolés de couleurs en demi-teintes, les Quatre poèmes de Guillaume Apollinaire mis en musique par Poulenc attestent la lecture et la prosodie raffinées du français : la clarté de la diction, la ductilité de la voix, le raffinement des nuances permettent de faire entendre chaque syllabe. Les Histoires naturelles de Ravel révèlent les trésors de sarcasme et d’ironie dont se montre capable le grand baryton, son instrument semblant alors libéré. La substitution de Lieder de Schubert au cycle Le Travail du peintre de Poulenc est d’autant plus vécue comme une frustration par une partie du public.
Le récital de Lieder exige la présence d’un accompagnateur de talent et aux petits soins. Malcolm Martineau montre en outre ses talents pour les savants rythmes schubertiens comme pour les couleurs orchestrales de la partie française.
Marquée par le courage et la détermination, la soirée se conclut par une petite dose d’humour très British : le bis est dédié au rejeton de Keenlyside, transmetteur du virus.
Simon Keenlyside rencontre les enfants !#avecmoncoussin #autourdelavoix #partage #transmission Après son récital dhier soir et un public #souslecharme pic.twitter.com/1pTk9lkkFL
— Opéra national du Rhin (@Operadurhin) 14 février 2019