Gretel et Hansel à l'Opéra Comique : ni four ni épices
Une tradition ancrée rencontre une tradition à construire : outre-Rhin, Hänsel et Gretel est un délicieux marronnier refleurissant chaque hiver dans les maisons lyriques (une tradition qui se répand même à travers le monde, comme en témoigne la lyricographie). L'Opéra Comique s'appuie donc sur cet opus pour prolonger ses deux jeunes traditions : les spectacles de sa Maîtrise Populaire (créée en septembre 2016, poursuivant un projet de 2008) et "Mon Premier Festival d'opéra" dont il s'agit de la deuxième édition (demandez le programme).
Fort heureusement, après le choix problématique de représenter My fair lady en franglais l'année dernière, Hänsel et Gretel n'est pas proposé ici en allemand mais en français. Une version toutefois fortement réduite et refondue (comme dans le chaudron de la sorcière, bien qu'il ne soit pas ici présent, pas davantage que les thèmes inoubliables et l'élan romantique de la partition). L'œuvre est concentrée en une heure et des poussières (durée bien plus abordable pour un jeune public divers). L'intrigue est resserrée à l'essentiel des épisodes et deux éléments scénographiques épurés : Hänsel et Gretel vivent dans un immeuble cartonné qui se lève sur une forêt de troncs de même matière, forêt de la sorcière qui n'a pas de maison (encore moins en pain d'épices) et donc pas de four. Hansel et Gretel ne sont pas attirés par la faim vers une masure de sucrerie, ils sont perdus dans les bois, la sorcière les attrape grâce à une formule magique (Hokus Pokus, qui lui permet de manipuler les êtres comme des pantins tout en déclenchant des flashs avec les lumières de salle, effet garanti sur les enfants qui acclament chaque "boule de feu"). Hänsel et Gretel ne sont pas prisonniers mais prostrés dans un coin du plateau et ne poussent pas la sorcière, celle-ci est évacuée hors de scène à l'aide de gros ventilateurs amenés par d'autres maîtrisiens.
Les solistes, comme l'ensemble des artistes, en tenue traditionnelle germano-helvétique (hormis les sorcières) chantent, jouent et dansent avec l'aisance d'un travail remarquablement accompli : les gestes et les lignes, parfaitement appris sont synchronisés (la projection et l'amplification des voix, très faibles, invite le public à un silence attentif pour en profiter). Outre ces questions techniques, les jeunes artistes solistes ont encore une grande appréhension scénique et vocale, difficile de le leur reprocher, d'autant qu'ils suscitent ainsi l'empathie et qu'ils esquissent aussi des qualités vocales à développer.
Les rôles-titres sont confiés à des pré-adolescents, dont l'âge mais aussi le caractère espiègle renforce la candeur du spectacle et l'identification avec le jeune public. Hansel (Micha Calvez-Richer) a la couleur claire d'avant la mue et un jeu délicat. Gretel (Rachel Masclet) est une voix émouvante et touchante, agile et pleine d'intentions. Escortée par une troupe de furies en robes de bure qui s'en donnent à cœur joie avec des chorégraphies de Quasimodo, la sorcière est incarnée par Ludmilla Bouakkaz (âgée de 23 ans, elle prouve que l'Opéra Comique reste fidèle à ses maîtrisiens et réciproquement). Prenant du temps pour bien trouver ses marques, la voix se fait ensuite juste, liée et piquée.
Justine Chauzy a quelques accents très placés et sonores au milieu de chaque phrase qu'elle peut projeter du grave à l'aigu. Autant son personnage de Mère a une voix ancrée (mais par intermittence), autant le père (Karl Gedor) est constant mais très en-dehors (loin du soutien) : une voix qui se fatiguerait assurément si le spectacle avait plus que trois représentations. Cependant, ses montées sont franches comme la justesse de ses intervalles.
Léontine Maurel-Paurd qui interprète Le bonhomme rosée a justement un aigu frais, perlé et sonore, marquant le rythme très en place. Kanoumah Dembele chante "Je suis marchand de sable Je n'ai rien d'effroyable" en plaçant nettement les échelles de notes, d'une voix droite puis striée, qui plonge le plateau dans le sommeil en un ballet tournoyant, sous une pluie de pétales rose.
L'effectif instrumental est encore plus réduit : l'orchestre symphonique devient ici un sextuor qui peut certes ainsi présenter des timbres différenciés, repérables pour les enfants (d'autant que le rythme est très lent et délié), un peu à la manière de Pierre et le loup, à ceci près qu'il n'y a pas de thème musical clairement distinct, mais des effets de jeu correspondant à chaque instrument : trilles à la flûte et clarinettiste ondoyante, nappes du cor, camaraderie des cordes (violoncelle très ensemble avec le violon très vibrant). Le piano sert de support aux chanteurs comme à la fosse, mais cet instrument à hauteur fixe montre aussi que ses collègues se désaccordent progressivement. Enfin, les percussions, si riches et fournies dans la partition d'origine, manquent ici cruellement. L'ensemble est dirigé (et mis en scène) par Sarah Koné, toujours aussi précise que souple, didactique que ludique.
La représentation se referme. "Sauvés ! Délivrés ! À tout jamais sauvés !"
Le public offre des acclamations tonitruantes, comme avant le début à l'annonce demandant d'éteindre son téléphone portable.