Renée Fleming ovationnée à la Philharmonie de Paris
Même semaine que son récital à l'Opéra de Bordeaux, même triomphe pour Renée Fleming à la Philharmonie de Paris, dans un programme pourtant entièrement différent, une nouvelle illustration de la richesse vertigineuse de son répertoire (une qualité des artistes américains à la formation vaste, et dont les vedettes lyriques ne s'interdisent nullement de briller à Broadway ou au cinéma). Si Bordeaux avait paru ébloui par un éventail de styles (Brahms, création, cinéma, Italie, opérette et music-hall) avec le piano d'Hartmut Höll, Paris est emporté par le romantisme d'un programme orchestral. Le dialogue entre la soprano américaine et l'Orchestre de Paris est à l'image du programme, dialogue de part et d'autre de la Manche, du XIXe et XXe siècle entre Sinfonia da requiem (Benjamin Britten) et Symphonie n°5 (Beethoven), de part et d'autre des mêmes siècles et de l'Atlantique Knoxville, Summer of 1915 (l'opus de Samuel Barber faisant son entrée au répertoire de la phalange orchestrale) et des Lieder orchestrés de Schubert. D'autres liens encore se croisent : Sinfonia da Requiem de Britten est dédié "À la mémoire de mes parents", Knoxville au père de Barber. La Truite de Schubert est ici donnée dans la version orchestrée par Britten.
Renée Fleming s’imprègne de chaque introduction instrumentale, rhapsodique ou lyrique, grave ou enfantine, ce qui lui permet de rendre une voix cristalline aux aigus aériens, ou bien un vibrato plus prononcé (mais qu’elle sait estomper), de presque danser ou de creuser des sons graves poitrinés, toujours au plus près du texte, jusqu’à la voix parlée si besoin. La ligne sais filer une mélancolie poignante et nostalgique, aussi bien que marquer par des envolées lyriques paroxystiques avec l’orchestre (passion de la famille exprimée sur "mother, father" chez Barber). Le bonheur est patent, le sourire constamment dardant ou clairement saillant, bondissant et même contagieux sur La truite de Schubert (ce qui ne retient nullement la suavité d'une vocalité aérienne, ni l'intensité dramatique de Marguerite au rouet avec ses notes vibrantes prises par en-dessous).
L’Orchestre de Paris dirigé par Jaap van Zweden propose une grande cohérence sonore à travers les opus et les styles, à commencer par les dialogues rythmiques et mélodiques du Summer of 1915. La Sinfonia da Requiem est justement interprétée comme une Messe des morts sans paroles (soli remarqués sur Lacrimosa, énergique virtuosité du Dies Iræ, douceur inquiète du Requiem æternam). L’accompagnement des Lieder, tel un long sostenuto peut ainsi mener à la Symphonie n°5, certes sans paroles, mais où la présence de Renée Fleming se fait encore sentir, le lyrisme des instruments résonnant avec les échos de celui déployé précédemment par la chanteuse. Les applaudissements ardents du public réunissant le tout.