Seconde soirée du Ring au Grand Théâtre de Genève : valeureuse Walkyrie
La narration s’impose comme le fil conducteur du metteur en scène Dieter Dorn pour La Walkyrie, en pleine continuité de son approche de L’Or du Rhin. La passion, quelque peu entravée dans le prologue, semble renaître et vouloir s’imposer. La direction d’acteurs s’avère nette et précise, argumentée. La lisibilité d’ensemble prédomine et facilite l’accès global à un ouvrage qui mêle l’inceste à l’héroïsme le plus fatal. Au premier acte, un grand frêne mort, dans le tronc duquel est fiché jusqu’à la garde l’épée redoutable, entouré de cloisons mobiles, représente l’habitation forestière de Hunding et Sieglinde. Le deuxième acte s’ouvre sur un site désolé au milieu des montagnes rocheuses où Brünnhilde règne sans partage dans une joie certaine, soutenue par un père particulièrement aimant. Le troisième acte, classique de conception, s’anime du va-et-vient des Walkyries qui regroupe les guerriers morts au combat pour les amener ensuite au Walhalla. Un immense rideau aux flammes apparentes surgira au moment de l’endormissement par Wotan de la vierge guerrière, figurant l’embrasement du site dans l’attente du réveil par un homme valeureux et fier. Rien donc qui puisse dévier l’attention, mais un travail abouti et valorisé par les éclairages subtils de Tobias Löffler. Comme avec une pointe d’humour bienvenue, Dieter Dorn fait appel à des marionnettistes très habiles (Susanne Forster et Stefan Fichert) pour représenter le cheval désarticulé de Brünnhilde. De même, il ose l’anthropomorphisme avec ces hommes-béliers qui entourent avec peur et déférence leur maîtresse la déesse Fricka.
Au niveau de l’interprétation, le plateau apparaît indéniablement dominé par le Wotan de Tómas Tómasson. Plus libre encore que pour le Wotan de L’Or du Rhin, il aborde sa redoutable et longue intervention avec sûreté et un sens profond du personnage. La voix s’élève sans effort, s’irise, la projection en salle s’impose par la qualité du phrasé. Le Hunding d’Alexey Tikhomirov le rejoint sur ces sommets, grande et valeureuse voix, d’une dimension exacte pour le répertoire wagnérien. Ruxandra Donose se porte à leur hauteur en Fricka tant par l’aisance vocale dont elle fait preuve que par son superbe timbre de mezzo-soprano aux multiples facettes.
Dans le rôle de Siegmund, la voix du ténor Will Hartmann manque d’amplitude et de caractère, l’aigu est souvent émis trop bas, même si l’incarnation du personnage touche par sa réelle part de sensibilité. Michaela Kaune propose une Sieglinde surtout lyrique, à l’étoffe un peu courte et timide pour s’imposer sans appel au premier acte. Au contact de Brünnhilde au troisième acte, la voix sort de sa réserve pour enfin s’épanouir. En Brünnhilde, justement, Petra Lang lance un cri de guerre aux accents bien trop accentués, qui cache un aigu désormais rétif, voire difficile. Réservée dans un premier temps, elle se libère ensuite pour retrouver notamment au troisième acte face à Wotan, une endurance certaine, une implication plus énergique et un soutien comme exhumé. Le timbre toutefois manque de couleurs, de diversité pour habiller idéalement le rôle.
Enfin, le bataillon des Walkyries s’impose par sa rigueur, son homogénéité et sa vaillance. Il convient de citer toutes ces artistes à un même et excellent niveau : Lucie Roche (Waltraute), Katja Levin (Gerhilde), Marion Ammann (Ortlinde), Ahlima Mhamdi (Schwertleite), Karen Foster (Helmwige), Héloïse Mas (Siegrune), Rena Harms (Grimgerde), Roswitha Christina Müller (Rossweisse).
Après un premier acte sans éclat particulier, Georg Fritzsch anime ensuite sa direction, lui insuffle une énergie salutaire, qui donne le meilleur lors de la fameuse Chevauchée, mais encore et plus particulièrement de la scène finale, voyant le rocher s’embraser et les adieux toujours bouleversants de Wotan à sa fille bien aimée.
Cette seconde soirée porte décidément un public qui ne ménage pas ses applaudissements. Le feuilleton complet du Ring continue cette semaine sur Ôlyrix avec Siegfried et Le Crépuscule des Dieux.