Sophie Koch et l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège à l’Arsenal de Metz
Une grande partie du programme permet à John Axelrod et à l’orchestre invité de mettre en lumière la dimension spirituelle des œuvres proposées : chaque pièce porte à sa façon la thématique du deuil et de la fragilité de la vie. Le Concerto pour piano et orchestre est dédié à Nikolai Dahl, neurologue et psychiatre qui a redonné le goût de composer à un Rachmaninov dépressif suite à l’échec de sa Première Symphonie. La palette d’émotions est exprimée par le pianiste russe Denis Kozhukhin, grâce aux couleurs émotionnelles successives, dans une virtuosité continue. La souplesse de l’orchestre, dès les premières mesures, est tenue jusqu’à la vitalité bouillonnante du troisième mouvement. I Crisantemi de Puccini concentre en six minutes la douleur funèbre suscitée par la mort du Duc Amedeo de Savoie. L’Orchestre Philharmonique Royal de Liège, réduit à ses cordes, sait à nouveau choisir la couleur adéquate, la subtilité des vibratos transparaissant même dans la main gauche du chef. Enfin, la Symphonie n°1 "Jeremiah" de Bernstein, est inspirée par un texte du Livre des Lamentations, la déploration de la destruction de Jérusalem par Jérémie. La thématique évidente apparaît en sombre écho à 1942, date de composition, et annonce l’exploration par Bernstein de la question de la foi qu’il poursuivra entre autres dans The Age of Anxiety en 1949, et en 1963 dans Kaddish qui est le chant du deuil. Les forte tonnent, les pianissimi se prolongent jusqu’à créer un écho démultiplié par l’acoustique de la Grande Salle. La battue de John Axelrod se fait alors plus syncopée, voire même franchement dansante, le chef convoquant tout son corps pour diriger.
Aux derniers accords de la Profanation de Jérusalem, la mezzo-soprano Sophie Koch prend place sur le devant de la scène. Sa mission délicate consiste à véhiculer en quelques minutes toute la Lamentation de Jérémie du troisième mouvement, ce dont elle s’acquitte avec force. Le texte en hébreu est transmis par la mezzo-soprano avec la compréhension d’un timbre adapté aux mots et aux ressentis successifs du prophète. D’une portée très puissante, le timbre bouillonne en insistant sur certains mots ou passages du texte, tel « avodah » (travail, ici, servitude).
.
La prophétesse se fait aussi l’écho de l’« angoisse » (mitsarim, littéralement la détresse) dont elle prolonge la syllabe finale. Le timbre est alors plus mesuré mais exprime toujours pleinement le désespoir de Jérémie. Passant en une descente aisée vers les graves, peu nombreux dans la partition, ceux-ci résonnent tout autant. Les vibratos, longs et homogènes, ponctuent les lamentations avant que la voix ne se fasse à la fois colérique et désespérée, retranscrivant les ordres intimés et subis, « Éloignez-vous, impurs ! ». La dernière supplique à Dieu achève l’œuvre dans un désespoir pleinement exprimé par le timbre, mais également par la posture de Sophie Koch, qui lève et maintient longuement son regard vers les hauteurs avant un mur d’applaudissements.