La Vie Parisienne sauce yéyé à l'Opéra-Théâtre de Clermont-Ferrand
Après une Traviata remarquée l'an dernier dans cette même maison, la troupe de « l'Opéra Éclaté » fait son retour sur la scène clermontoise en abordant le genre de l'opérette. Fidèle à Jacques Offenbach (La Belle Hélène, Le Voyage dans la Lune ou encore Le Roi Carotte figurent déjà à son répertoire), la compagnie lyrique s'attaque cette fois à La Vie Parisienne. Et c'est peu dire que le résultat est pour le moins étonnant, voire décoiffant. Olivier Desbordes, le metteur en scène de ce spectacle (également fondateur du Festival de Saint-Céré), montre créativité et audace, par une vision rafraîchie et nouvelle, susceptible de fédérer un large public.
Dans ce spectacle tout récent (il a été créé au début du mois de février 2019 à Saint-Céré), Olivier Desbordes, accompagné à la mise en scène par Benjamin Moreau, tente un coup osé : décidant de transformer l'opérette en comédie musicale, il transpose La Vie Parisienne en 1966, soit 100 ans après la création de la version originale au Palais-Royal, à Paris. Un siècle d'écart donc, mais toujours une même atmosphère, respectant l'esprit du livret d'Henri Meilhac et Ludovic Halévy : celle d'une joie débridée, d'un Paris synonyme de fête, de plaisirs divers, et d'une bourgeoisie avide d'amours frivoles. L'année 1866 s'inscrivait dans une époque "libérée" du Second Empire : deux ans après la "libéralisation des théâtres" en 1864, on s'en donnait à cœur joie dans les salles de spectacles, tant dans la musique (Offenbach donc, mais aussi Hervé), que dans le théâtre (Labiche). Cent ans plus tard, l'époque est aussi à l'amusement : une nouvelle génération de chanteurs, "rock'n roll" et "yéyé", investit les plateaux télévisés qui deviennent ici comme une seconde scène.
Des chanteurs qui prennent les traits des vedettes des "sixties"
Ce spectacle d'opéra-théâtre, au grand bonheur des téléphiles nostalgiques, présente ainsi l'enregistrement d'une émission d'Antenne 2. Dans une scène-plateau parsemée de logos ORTF, c'est une speakerine (avec son look brushing-jupe caractéristique) qui vient annoncer le début du spectacle. Sacha Distel ou Guy Lux pourraient dès lors surgir des coulisses, mais ce sont bel et bien les protagonistes de l'opérette qui investissent la scène. Références aux années 1960 toujours, ces comédiens-chanteurs n'hésitent pas à se grimer, notamment lors de la scène du souper, en Claude François, Mireille Matthieu, Nana Mouskouri voire en gendarme de Saint-Tropez.
L'hommage et le concept sont poursuivis et amplifiés : filmé en direct sur le plateau, le spectacle est retransmis en instantané sur un écran suspendu au dessus de la scène, comme une authentique émission de l'époque. Un pari technique qui produit deux univers en un : sur scène, le spectateur savoure un spectacle lyrique, dans l'écran, il assiste à une émission télévisée. D'un bout à l'autre de la pièce, c'est ainsi que s'enchaînent les numéros musicaux, les intermèdes théâtraux, les parades dansées et autres mouvements de scène incessants. Nul ennui, pour sûr, et même beaucoup de rires fusent du public qui admire également les superbes costumes de David Belugou et les jeux de lumières soignés de Patrice Gouron.
De belles surprises vocales
Coté voix, les belles surprises sont aussi au rendez-vous. Rompue aux rôles mozartiens (Donna Anna, Pamina, Fiordiligi), Diana Higbee est une Métella marquante, servie par une voix à la projection rayonnante, et au timbre vibrant (particulièrement perceptible dans l'air "Vous souvient-il", acte II). Elle est aussi une comédienne convaincante, déployant sur scène une énergie sans limites. Dans le rôle de la Baronne, Anandha Seethanen montre qu'elle est aussi à l'aise dans la comédie que dans la danse. Artiste complète, c'est aussi une chanteuse, certes davantage habituée au jazz et au folk qu'au chant lyrique, mais néanmoins nantie d'une voix de mezzo vibrante et rocailleuse, aussi capable de briller dans des aigus expressifs. La Gabrielle de Morgane Bertrand capte d'emblée l'audience par une voix pleine et puissante, dotée d'un timbre chaudement coloré. Son fameux air, “Je suis veuve d'un colonel”, est idiomatique. Légèrement plus en retrait, Lucile Verbizier est une Pauline agréable, usant d'une voix charmante qui gagnerait seulement à être soutenue par un vibrato davantage prononcé. Flore Boixel (Leonie, Louise, Clara), malgré un investissement vocal indéniable et une présence scénique certaine, semble davantage à son aise dans un registre de variétés que dans le chant lyrique.
Au casting masculin, en Gardefeu et Bobinet, Steeve Brudey et Hoël Troadec sont d'abord un duo dont la complicité et la complémentarité scénique s'apprécient pleinement. Vocalement, ils sont tout aussi intéressants : Steeve Brudey possède une vraie voix de radio, profonde et chaleureuse, Hoël Troadec use d'une voix de ténor bien projetée, avec une diction soignée. En Baron, en plus d'être un vrai larron sur scène, Christophe Lacassagne est un baryton au timbre pénétrant et à la tessiture ample. Mention aussi pour le rôle du Brésilien incarné par Thierry Jennaud au ténor très samba pour l'occasion. Lionel Muzin, entre deux pas de danse sous les traits de Rabbi Jacob, montre enfin qu'il sait aussi chanter avec énergie.
Quant aux instrumentistes, qui interprètent une partition réorchestrée par François Michels, ils s'adaptent tant à un registre de variété qu'à des passages plus classiques. Depuis son clavier, Gaspard Brécourt dirige six musiciens qui, dans leur costume blanc de gala, forment moins un ensemble de chambristes qu'une forme de jazz band, dominé par les cuivres et la batterie. De quoi donner envie de taper du pied et d'applaudir en rythme, ce dont le public, ravi et enthousiaste, ne se prive pas en fin de spectacle.