Profondes et méditatives Cantates du jeune Bach par Vox Luminis
Jean-Sébastien Bach (1685-1750) n’a que 22 ans lorsqu’il obtient le poste d’organiste à l’église Saint-Blaise de Mülhausen et commence la composition régulière de cantates. Fidèle et déjà expert de la tradition liturgique germanique, il manifeste dès ces œuvres de jeunesse ses talents d’écriture, le figuralisme de ses mélodies, leur agencement polyphonique, à la fois complexe et limpide, et surtout l’humilité authentique de sa musique au service des textes spirituels. En la Chapelle de la Trinité de Lyon, Vox Luminis et son directeur artistique Lionel Meunier mettent au programme quatre des toutes premières cantates, aux textes certes tristes et douloureux mais rappelant toujours l’espoir promis par le Christ : après un temps de méditation sur la mort avec Gottes Zeit ist die allerbeste (Le temps de Dieu est le meilleur des temps), vient le temps de l’intense prière, Aus der Tiefen rufe ich, Herr, zu dir (Des profondeurs je crie vers toi, Seigneur). Malgré les difficultés de la vie, on chante ensuite l’espérance avec Nach dir, Herr, verlanget mich (Vers toi, Seigneur j’aspire) et Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen (Les pleurs, les lamentations, les tourments et le découragement).
Variant les effectifs selon les cantates, le chœur est constitué de quatre à huit chanteurs. Si les timbres de chaque chanteur leur reste propre, leur extrême écoute mutuelle –et sans doute un travail rigoureusement méticuleux– permet une homogénéité d’ensemble et des équilibres absolus. L'articulation est précise, même lorsque les deux chanteurs d’un même pupitre (soprani ou alti) sont de part et d’autre de la scène pour le cantus firmus (mélodie principale) en filigrane. Quelques regards, complices, mais aussi la simple présence assurent la synchronisation. Grâce à ce travail remarqué, les parties de la polyphonie complexe sont transparentes, permettant d’admirer les courbes et les effets de l’écriture. Les Amen vocalisés en feu d'artifice concluent la première cantate, avant le contrepoint sur le fascinant accompagnement dialogué du violon et du hautbois, les savoureuses harmonies du Ich harre des Herrn (J’espère dans le Seigneur) de la deuxième, l’étonnant figuralisme de la montée sur Leite mich (Conduis-moi) de la troisième, et surtout le saisissant Weinen, Klagen (Pleurs et gémissements) qui ouvre la dernière.
Les arie et ariosi (airs et airs-récits) sont l’occasion d’apprécier les chanteurs de l’ensemble en solistes, tous démontrant les mêmes qualités d’assurance, d’expression sans exubérance, de clarté de timbre, d’une diction soignée et d’une transparence musicale. Sebastian Myrus est une basse présente et profonde. Alex Chance est un alto au dévouement simple et touchant. Le ténor Philippe Froeliger est couvert par les instruments lors de son intervention. Son collègue de pupitre, Reinoud van Mechelen fait néanmoins entendre un timbre de velours à l’aise dans toute sa tessiture. La soprano Zsuzsi Tóth se fait implorante mais aussi rassurante et rayonnante. La seconde soprano, Kristen Witmer, rayonne également, par son charme juvénile et sa voix sucrée. Enfin, le contre-ténor Daniel Elgersma fait entendre une douceur de timbre et une souplesse de la conduite de ses phrases musicales.
Lionel Meunier dirige très certainement le travail préalable mais laisse en concert, la plupart du temps, la musique s'épanouir d'elle-même. Bien qu’il participe en tant que basse à l’ensemble, c’est à la flûte à bec qu’il se met en avant, aux côtés de sa collègue, également bassoniste, Anaïs Ramage, pour une introduction aux effets surprenants, mêlant unissons et décalages, de Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit (allégorie du temps et de ses presque imperceptibles fluctuations). Les sept autres instrumentistes sont tout aussi méticuleux que les chanteurs, toujours très attentifs aux équilibres et à l’homogénéité de tout l’ensemble.
Chaleureusement applaudis du public, les artistes proposent en bis le magnifique chœur d’introduction du Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen, que Bach, tout aussi conscient de sa puissance émotionnelle, réutilisa pour le Crucifixus de sa Messe en si mineur. Cette reprise prend une dimension encore plus forte que la première fois, le Da Capo gagnant une incroyable couleur piano, plus intense et plus profonde encore.