Le Barbier de Séville, deuxième édition à Bordeaux : exubérante et triomphante jeunesse
Cette distribution déjà couverte de prix et d'engagements, manifeste une camaraderie de frères et sœurs d’armes. L’empathie du public leur est acquise dès la première arrivée en scène d’Almaviva. Le sourire coquin du ténor gallois, Elgan Llyr Thomas (déjà membre de la distribution jeunes talents de cette production au TCE l'an dernier), ses yeux grand ouverts, la douce tendresse de sa voix, et même sa tendre gêne sur la fioriture du premier air « Ecco ridente in cielo », lui gagnent le cœur du public. Le ténor léger, nourri du lyrisme de Benjamin Britten, semble préférer lier les notes dans les passages fleuris plutôt que de les articuler. Plus à l’aise sur des phrases lyriques à la fin de sa sérénade à la guitare « Amoroso e sincero Lindoro » Elgan Llyr Thomas fait un alliage de couleurs multiples et changeantes, de tons droits et vibrés. L’intervention dans cet air d’un moment de guitare flamenco (jouée par Vanessa Dartier) est une charmante surprise, comme le claquement de langue du chanteur à la place d’un demi-soupir (« Il conte d'Almaviva, (claque) io sono »), ou encore un suraigu tenu en quittant la scène, pour revenir toujours en tenant la note (en hommage au ténor « fou », Franco Bonisolli).
Le Figaro exubérant d’Anas Séguin rejoint Almaviva en ami combattant complice plutôt qu’en serviteur. Du solo « Largo al factotum » offert avec brio, au duo (« Dunque io son ») très joué avec Rosina, au trio avec les deux amants de la fin de l’opéra, où Séguin cherche désespérément à déloger Rosina et Almaviva de leur parade d’amour, en s’insérant dans leur musique (« Andiamo ! ») le timbre se teinte et se couvre délicatement. La voix manque certes encore d’ampleur face à l’orchestre (qui parfois le couvre), mais ses aigus ont une couleur ténorisante. Leste et agile, affable et d’un grand naturel, il fait tomber le "quatrième mur" entre le spectacle et le spectateur.
Dans le rôle de Rosina, la svelte Adèle Charvet est vocalement voluptueuse. Son mezzo est souple et rond, joliment équilibré, et son visage radieux transmet la jouissance du jeu. L'air « Una voce poco fa » délivré avec une virtuosité inébranlable, est parsemé d'ornementations, mais aucune émotion ne semble feinte : ses colères et souffrances, son ennui et son désir, la surprise et la honte sont immédiats. Elle frétille de joie et transforme, dans la plainte, cet opéra-bouffe en opera seria.
Adele Charvet et Thibault de Damas | Mikhail Timoshenko - Le Barbier de Séville par Laurent Pelly (© Maitetxu Etchevarria) |
Thibault de Damas, baryton-basse apprécié dans L’Enfant et les Sortilèges est un Bartolo renversant. Pour incarner le vieux docteur, il recroqueville son corps longiligne, tel un vautour et manifeste un délicieux plaisir maléfique. La basse-bouffe manque certes de moelleux et d'une certaine corpulence vocale, mais elle est focalisée, jusque dans la cascade de paroles « A un dottore da mia sorte ». Mikhail Timoshenko, baryton élégant et raffiné fait de Basilio un personnage presque sympathique, naïf, et mécompris plutôt que malicieux, et l’air « La Calunnia è un venticello » est presque gracieux, cependant que dans l’orchestre, le rythme sinistre de cordes grattées, et les contretemps volontairement accentués de "couacs" nasillards ne laissent aucun doute sur l’aspect pernicieux de ses propositions !
Le reste des rôles est assuré par une distribution invariable. Julie Pasturaud explore l’aspect mégère de Berta, caractérisation vive, fort lisible, qui sacrifie un peu la beauté de sa voix. Romain Dayez dans le rôle de Fiorello est un escogriffe comique avec une belle voix sonore. Le comédien, Aubert Fenoy, bâille constamment et perd ses pantoufles pour un sidérant Ambrogio, enfin Loïck Cassin chante le rôle d’un officiel de la garde avec ce qu’il faut d’autorité et de raideur. La direction de Marc Minkowski est énergique, dansante et généreuse. Très attentif aux besoins des chanteurs, il récupère vite les brefs dérapages entre scène et fosse, et fait ressortir de la partition des détails étincelants.
La jeunesse du plateau compose une alchimie frémissante, inspirée par Laurent Pelly et sa mise en scène de la musique elle-même : les chanteurs habillés de noir sont les notes qui remplissent la partition au fil de la soirée. Les baïonnettes des soldats sont des pupitres de musique, la pluie tombe en notes noires sur la partition nue, et des cordes de violons font les barres d’une prison. Les jeunes chanteurs sont d'autant plus applaudis qu'ils ont aussi l’avantage de ressembler à la jeune population d’aujourd’hui, accentuant l’osmose avec le public.