À Tours, l'Italienne pas vraiment à Alger
Le décor monumental de Rifail Ajdarpasic impressionne au lever du rideau : la carcasse d’un avion s’étant crashé en pleine jungle occupe l’essentiel du plateau durant les deux actes de l’opéra, permettant certains gags attendus mais drôles (les plateaux repas proposés au bey et à Taddeo pendant la scène du Pappataci, une tempête avec ceintures de sécurité bouclées et masques à oxygène tombant du plafond). Les esclaves de Mustafa sont en fait les rescapés de la catastrophe aérienne (équipage et voyageurs), qu’Isabella délivrera à la fin de l’ouvrage et auxquels elle permettra de rentrer chez eux, dans ce même avion de nouveau miraculeusement opérationnel. Une question demeure toutefois insoluble : comment Isabella est-elle elle-même arrivée dans cette jungle ? Y a-t-il eu une autre catastrophe aérienne ? L'humour et la réflexion sur l’altérité culturelle du livret (Anelli) et de la musique (Rossini) paraissent en outre négligés et le décor un peu écrasant ne laisse finalement que peu d’espace aux chanteurs pour évoluer sur scène.
Musicalement, la version proposée est intégrale, reprises et air d’Haly inclus. Les chœurs apportent au spectacle leur application vocale et scénique, de même que l’orchestre placé sous la direction élégante de Gianluca Martinenghi, parfois cependant un peu trop sage, notamment dans le crescendo de l’ouverture ou le moment de folie qui clôt le premier acte.
Les trois petits rôles d’Elvira, Zulma et Haly sont tenus avec talent par Jeanne Crousaud (un timbre un rien acide et une voix légère, mais suffisamment bien projetée pour tenir efficacement sa place dans les ensembles), Anna Destraël (voix chaude aux reflets cuivrés) et Aimery Lefèvre, très impliqué scéniquement, et parvenant vocalement à donner une épaisseur au personnage du Capitaine des Corsaires d’Alger – en particulier dans l’air « Le femmine d’Italia », faisant valoir une voix chaude et bien placée.
Isabella est incarnée avec conviction par Chiara Amarù : très à l’aise scéniquement, elle délivre un chant élégant (du legato, aux demi-teintes délicates dans « Per lui che adoro ») et virtuose, porté par une voix correspondant au rôle : colorée, pas trop épaisse pour permettre à la virtuosité de se déployer, mais percutante et aux graves assurés afin d’asseoir l’autorité du personnage. Malheureusement, son Bey (Burak Bilgili), en dépit d’une belle présence scénique, n’a pas suffisamment d’assurance vocale pour permettre une véritable confrontation vocale : la voix est fatiguée, érodée aux deux extrémités de la tessiture, entachée d’un vibrato mal maîtrisé et insuffisamment souple pour vocaliser.
Encore assez peu connu en France (néanmoins applaudi dans Don Pasquale à Metz en 2017 et tout récemment dans Barkouf à Strasbourg), le ténor d’origine congolaise Patrick Kabongo séduit le public tourangeau par son jeu naturel et amusant, son timbre à la fois léger et coloré, l’élégance de sa ligne vocale, jamais dénaturée par une virtuosité excessivement démonstrative. Enfin, en Taddeo, Pierre Doyen recueille les suffrages du public. Drôle et alerte en scène, il fait entendre une voix de baryton claire, à la projection extrêmement efficace (sans jamais donner l’impression d’être forcée), parée de couleurs veloutées au point de rendre ce personnage de benêt presque touchant, notamment lorsqu’il demande à Isabelle d’imaginer l’état de son cœur (quintette du second acte).
Le public, discret et réservé pendant la représentation, salue avec beaucoup d’enthousiasme l’ensemble des artistes à l’issue du spectacle.