Clémentine Margaine et Roberto Alagna, duo français pour Carmen en direct du Met
Simplement transposée à l’époque de la guerre civile espagnole, cette production signée Richard Eyre et datée de 2009 reste dans les codes d’une mise en scène classique. Le décor du premier acte est constitué de deux plateaux tournants sur lesquels sont installés les remparts de Séville et, à l’avant-scène, le poste de garde, isolé par un imposant grillage. Ce dispositif permet des changements de plans assez rapides, passant de l’univers oppressant de l’avant-scène où Micaëla fait la rencontre des gardes, à la place sévillane ouverte où les enfants chamailleurs raillent et miment les soldats. Le décor est certes un peu encombrant, mais la lecture est claire. Au contraire, la taverne de Lillas Pastia à l’acte deux est un univers fixe habitant l’ensemble du plateau, au milieu duquel une scène en bois accueille des danseurs de flamenco. Malheureusement, si le tableau vit grâce à la fougue des danseurs et des attitudes des membres du chœur ainsi que lors de l’arrivée d’Escamillo, la deuxième partie de l’acte dans laquelle Carmen et Don José se retrouvent manque d’intensité, car les deux protagonistes sont seuls dans un trop grand espace et l’action peine à se concentrer sur eux.
Les montagnes du troisième acte sont ici figurées par un décor d’aspect minéral évoquant les chemins de contrebandiers. Les personnages déambulent d’un côté à l’autre, passant par des escaliers de pierre latéraux menant à une ouverture pouvant illustrer une grotte s’ouvrant sur le fond de scène, le tout nimbé d’une lumière bleue. La scène des cartes puis le final dynamise un peu ce tableau qui manque parfois d’allant. Enfin, le dernier acte semble être l’envers du décor du premier et la forme des remparts se découpant sur plusieurs plans laisse entrevoir la forme des arènes de Séville dans le fond. L’action se concentre ainsi à l’avant de la scène où défilent toréros, banderilleros et autres figurants avant que la place ne se vide pour la scène finale entre Don José et Carmen, qui disposent là encore d’un espace conséquent où évoluer. Cette mise en scène cohérente et respectueuse du livret souffre cependant d’une mise en lumière très crue, qui ne crée malheureusement pas de véritables atmosphères, ainsi que de chorégraphies dansées lors des préludes qui ne s’attachent pas à l’intrigue de l’opéra et paraissent hors contexte.
La direction musicale de Louis Langrée aide quant à elle à dégager des ambiances sonores contrastées. La première partie de l’ouverture, particulièrement enlevée et dynamique est à l’image du chef, tout sourire, à la tête de l’Orchestre du Metropolitan. Il parvient à emballer la phalange dans les passages tutti, et si quelques décalages rythmiques avec le chœur se font parfois ressentir, ils sont vite résolus. Dommage qu’une importante partie sur « Les tringles des sistres tintaient » au début du deuxième acte soit couverte par les bruits de pas des danseurs frappant le sol, l’orchestre ne se faisant pleinement entendre qu’à la fin de l’air.
Alexey Lavrov campe un Moralès rustre, au timbre pincé, convaincant dans ce personnage de soldat insistant. Dans le même registre, le Zuniga que chante Richard Bernstein est bien composé, la voix manque un peu de soutien dans le grave mais ce défaut est compensé par une belle présence scénique. Si Sydney Mancasola et Samantha Hankey, incarnant respectivement Frasquita et Mercédès, se ressemblent physiquement, elles se distinguent bien par la voix, la première par des interventions très présentes dans l’aigu et une émission vocale facile, la seconde par un timbre séduisant et une voix souple. Toutes deux révèlent une diction soignée, qualité que partage moins le Dancaïre de Javier Arrey notamment dans les récitatifs, mais celui-ci se trouve plus à l’aise dans la rythmique du complexe quintette « Nous avons en tête une affaire » aux côtés du Remendado plus discret de Scott Scully.
Escamillo, incarné par le russe Alexander Vinogradov, ne se trouve pas non plus à son avantage dans la prononciation de la langue française. Plutôt convaincant scéniquement, il ne parvient pas totalement à enrichir sa voix au timbre sombre et son air du toast manque malheureusement de charisme. Aleksandra Kurzak est une Micaëla très touchante, dès son duo avec Don José au premier acte, remarqué par le public. Elle offre ensuite une interprétation très théâtrale de « Je dis que rien ne m’épouvante » au troisième acte. La clarté des aigus impressionne et la ligne de chant bien articulée est supportée par un souffle maîtrisé qui lui permet des piani à la fois fragiles et intenses.
Clémentine Margaine interprète une Carmen pleine d’aplomb et qui n’a pas froid aux yeux. Son jeu de scène est séducteur, regards en coin, jeux de robes, le tout manquant quelquefois de nuances, mais la direction d’acteur en est peut-être responsable. Séductrice, la voix l’est aussi, le timbre rond et empreint d’une belle musicalité, avec cependant quelques lacunes dans l’articulation. Toutefois son interprétation gagne en intensité dans le dernier acte.
Enfin, Roberto Alagna offre une interprétation solide et fougueuse, semblant habiter le personnage de Don José presque comme pour la première fois. Il nuance sa voix pour appuyer l’intention dramatique et fait évoluer son caractère tout au long de la soirée vers une scène finale de grande intensité. Sa voix est audible dans tous les registres, son français parfaitement intelligible, et sa grande connaissance du rôle lui offrent une ovation de la part du public new-yorkais.