Guilhem Worms avant Les Victoires de la Musique Classique : « si je me suis amusé c'est que tout va bien »
Guilhem Worms, vous êtes nommé dans la catégorie Révélation lyrique aux Victoires de la Musique Classique 2019. Où étiez-vous quand on vous a annoncé la nouvelle ?
J'étais à Moscou, dans un centre commercial quand subitement en récupérant le wifi j'ai reçu le message de mon agente, qui était aussi étonnée que moi ! J'en suis très heureux, d'autant qu'il y a rarement des voix graves dans ce type de cérémonies, c'est donc pour moi l'occasion de mettre en avant notre répertoire.
Que chantiez-vous à Moscou ?
Jésus dans la Passion selon Saint Jean de Bach, dirigée par Maxim Emelyanychev au Tchaikovsky Concert Hall, un endroit d'exception, qui sonne bien. C'était une expérience géniale et très étonnante, notamment concernant les retours du public. Avec les solistes nous n'étions pas en avant-scène mais derrière l'orchestre, je n'avais donc pas une perception nette du public, mais ma femme qui était présente m'a décrit une belle écoute et une ambiance détendue. D'ailleurs, elle s'était mise sur son 31 en l'honneur de ce lieu, mais les gens étaient très décontractés, en tenue du quotidien, comme pour aller au cinéma.
Que peut vous apporter cette nomination aux Victoires de la Musique Classique ?
Elle m'a déjà permis de faire des interviews et de recevoir beaucoup de messages de sympathie. C'est évidemment une grande source de visibilité, il est rare d'avoir autant d'attention et de caméras braquées sur un chanteur de 28 ans, a fortiori une voix grave. C'est aussi une belle expérience à vivre mais on verra bien pour la suite. Ce n'est pas un bouleversement qui m'amènera à chanter du jour au lendemain un rôle légendaire comme Méphistophélès sur une grande scène.
Vous attendiez-vous à ce type de projecteurs braqués sur vous ?
Pas du tout, je n'y ai jamais pensé et j'en suis le premier étonné.
Comment s'est passé le concert des Révélations du 11 janvier ?
Dans une splendide ambiance. Les journéessont certes très chargées entre répétitions, interviews, concert, mais c'est une véritable chance que de pouvoir chanter à La Seine Musicale, là où se déroulera également la cérémonie. La salle (qui résonne un peu lorsqu'elle est vide) était remplie de public et de bonnes ondes.
Comment avez-vous choisi les morceaux de ce concert, à commencer par l'Air de la Calomnie ("La calunnia è un venticello" interprété par Don Basilio dans Le Barbier de Séville) ?
D'abord parce que c'est un air que j'adore, mais aussi parce qu'il m'a lancé dans le réseau lyrique, grâce aux personnes qui m'ont fait confiance en me donnant le rôle de Basilio dans Le Barbier de Séville mis en scène par Laurent Pelly et Un Barbier (une version tout public et participative). Tout ça à 26 ans. Je les remercie beaucoup de m'avoir fait confiance à ce moment de mon parcours, dans ce rôle de basse très représentatif. Tant d'honneur a d'ailleurs provoqué un amusant quiproquo, qui a duré six mois : je ne m'attendais pas du tout à participer au Barbier de Pelly et lorsque mon agence me parlait du Barbier je pensais qu'ils ne parlaient que du Barbier participatif !
Retrouvez notre compte-rendu : Le Barbier de Séville par Laurent Pelly
Avec votre personnalité si positive, n'est-il pas difficile de chanter un air aussi sournois ?
Justement, il peut être fait avec positivité. C'est génial quelqu'un qui vante la calomnie ! C'est ce que j'ai voulu montrer dans ce concert, quelqu'un qui veut vendre sa calomnie.
Quels sont vos deux autres chants de ce programme ?
La Danse macabre de Camille Saint-Saëns, qui a également pour moi une histoire : j'ai commencé le chant il y a huit ans avec Pierre Mervant, puis à Dijon avec Agnès Mellon et Jean-Paul Fouchécourt qui m'avait fait travailler cet air, qui m'a suivi partout, dans toutes les auditions. Il est d'autant plus intéressant qu'il s'agit d'un illustre inconnu : la mélodie est célèbre mais peu de gens savent qu'il a aussi des paroles :
Enfin j'ai chanté "Ah si j'étais riche", qui est aussi pour moi l'occasion de rendre hommage à Jean-Claude Malgoire : il m'avait demandé d'interpréter ce morceau entre Mustafà et Don Giovanni pour un récital de Nouvel An. J'étais un peu dubitatif au départ, mais c'était une très belle idée.
Cette rencontre avec Malgoire a-t-elle été possible grâce à votre victoire en avril 2015 au Concours Talents lyriques de Reims, Voix sacrées ?
Oui, c'est lui qui a créé ce concours et le but de cette édition était de sélectionner des chanteurs pour monter Le Messie de Haendel. Il a été génial avec moi, il a pris beaucoup de temps pour travailler ce répertoire complexe. C'est comme Mozart : on le fait en début de carrière alors que c'est extrêmement difficile. Jean-Claude Malgoire m'a apporté beaucoup d'amusement, rappelant que "la musique c'est sérieux mais c'est pas grave". Il l'incarnait, tout le temps. Il riait en répétition, en sortant de scène, il était très soucieux du théâtre, se défocaliser du chant, même dans Le Messie.
Avez-vous préparé un discours au cas où vous remporteriez la Victoire ?
Oh, non ! Pas du tout. Je n'ai même jamais pensé pouvoir gagner, mais j'aurais tellement de personnes à remercier car j'ai bifurqué vers la musique classique après avoir fait bien d'autres choses. Je faisais de l'ethnomusicologie et chantais des musiques polyphoniques très diverses (de la musique corse à la polyphonie renaissance). J'enseignais également le beat-box et je m'occupais d'enfants en situation de handicap. Je ne faisais pas du tout de chant lyrique.
En quoi consistait votre travail avec des jeunes en situation de handicap ?
Il s'agissait de travailler avec le handicap mental sous toutes ses formes (notamment autisme, trisomie, psychotisme) dans des écoles spécialisées.
Un ami psychologue avec lequel je chantais depuis tout petit ne pouvait plus assurer sa classe à l'Institut Médico-Educatif La Cerisaie de Brunoy, il m'a donc proposé de lui succéder et j'ai adoré. Je n'ai pourtant eu aucune formation. La première fois que je suis arrivé dans l'établissement, la directrice s'est absentée quelques instants, me laissant seul dans la cour, juste avant la sonnerie de la récréation. Tous les jeunes sont alors venus vers moi pour me demander qui j'étais. La directrice m'observait en fait et en revenant m'a dit : c'est bon. Elle m'a suivi ensuite pendant deux-trois mois, et me laissait de plus en plus en autonomie avec 17 jeunes. Le plaisir qu'ils ont à chanter sur scène, à découvrir qu'ils en sont capables (même des jeunes "mutiques"), c'est un travail sur le long terme, mais c'est magique.
Quel répertoire leur faisiez-vous chanter ?
Du chant choral. Comme je n'avais pas eu de formation, je me suis fait une méthode basée sur le mime, le geste, sans "métaphore" : avec des éléments très tangibles, compréhensibles par tous. Au niveau du répertoire, j'ai un peu étonné le monde en choisissant d'abord un chant arménien, mais même une mélodie dans une autre langue a très bien marché. Nous avons aussi fait des chansons françaises, roumaines parmi bien d'autres choses : j'étais tout de même un élément extérieur et je pouvais tenter des choses. Dans la foulée, j'ai créé une classe au conservatoire de Milly-la-Forêt, les professeurs d'instrument ont rejoint le projet. La méthode a plu, j'ai même eu l'occasion d'aller deux fois en Inde pour voir d'autres méthodes et proposer des idées. J'étais dans un Centre religieux, appartenant d'ailleurs à l'ordre de Carmélites.
Vous avez donc déjà fait d'une certaine manière des Dialogues des Carmélites !
Exactement (rires). Le Centre a été créé par un père religieux, qui considérait que ces jeunes ne devaient pas se retrouver quasi-littéralement "à la poubelle". Le handicap est souvent trop dur à gérer et cause une forme de honte pour les parents. Tout est dû à une méconnaissance mais j'ai l'espoir que ça bouge.
Concernant la pratique vocale, s'agit-il d'adapter le travail selon les pathologies ?
Au départ, je pensais que non. Je dois m'adapter à chaque personne en face de moi. Toutefois, je peux trouver des outils qui correspondront mieux à différents handicaps. On ne va pas faire des chants aux phrases rigolotes avec un enfant qui ne verbalise pas encore.
Ces relations exacerbent-elles les rapports humains rencontrés dans la collaboration musicale ?
Bien entendu. Je m'étais très vite occupé d'adolescents, qu'il s'agisse de musique ou de sports (notamment des arts martiaux, même si je ne suis pas au niveau de Kevin Amiel ou du maître Florian Sempey). Avec les adolescents, l'affect est présent mais il faut laisser une distance. Avec les enfants handicapables (differently able), il faut être vrai, ne mettre aucune barrière. Il est impossible de mentir.
On imagine que cela a dû énormément vous aider en tant qu'interprète ?
Tellement ! Ils m'ont tellement apporté. Quand je devais chanter, ça allait, mais j'étais très inhibé dans le jeu. Je n'avais pas fait de théâtre, je suis donc allé faire de l'improvisation avec Xavier Brière, c'était une expérience formatrice mais ce sont ces enfants qui m'ont le plus appris. Quand j'inventais des exercices de jeu théâtral pour sortir un son, ils y arrivaient encore bien mieux que moi, dans un lâcher-prise et ils sont tellement vivants, drôles et naturels, ils sont justes.
Sont-ils venus vous écouter en concert ?
Oui, certains sont venus à l'opéra et au concert. Si au début, ils doivent pour certains prendre du temps pour comprendre que dans nos cultures on ne doit pas s'exprimer dans le public, ils sont en cela des jeunes comme les autres.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur les autres révélations Lyriques (Ambroisine Bré et Éléonore Pancrazi) ?
Bien entendu, d'autant que nous sommes amis ! Nous avons très envie de chanter tous ensemble, mais le programme des Victoires n'est pas encore déterminé (et on se doute bien qu'un air pour deux mezzos et un baryton-basse grave c'est compliqué, à moins que je ne chante baryton mais je n'y tiens pas).
Avez-vous le temps d'aller à l'opéra ?
J'ai beaucoup moins le temps depuis que ma fille est née, mais je n'ai pas raté Boris Godounov ni l'incroyable Pelléas et Mélisande en version concert avec le génial Alain Buet.
Quel souvenir gardez-vous du Mariage secret de Cimarosa (notre compte-rendu) ?
Avant j'avais fait L'Iliade de l'amour qui ne demandait pas un grand travail scénique alors que Géronimo dans Le Mariage secret est un rôle de composition. Un petit vieux radin, voûté avec une canne et une bosse, très nerveux et dynamique alors que je suis plutôt d'un caractère cool, lento. J'ai beaucoup appris avec Cécile Roussat et Julien Lubek.
Comment travaille-t-on un tel rôle ?
Une fois qu'il est là, il est là mais il me faut du temps. Certains rôles, certaines visions qu'ont des metteurs en scène demandent énormément de travail, de réflexion, de création. Parfois cela exige de passer des heures en loge, devant un miroir.
Comment évaluez-vous une performance ?
Quand je n'ai pas de regret, c'est que ça va (ce qui vaut dans la vie en général). Le retour des amis est essentiel : si les gens ont aimé. Après, au fond de moi, si je me suis amusé c'est que tout va bien.
Regardez-vous et réécoutez-vous vos performances après coup ?
Je sais que des collègues détestent le faire, mais j'ai commencé tard le chant lyrique, de manière abrupte et intensive, je savais que des difficultés m'attendaient (j'ai notamment passé six mois très compliqués de refondation vocale) et j'ai d'emblée voulu retravailler en m'enregistrant au maximum. De même, depuis un an et demi je n'ai plus le temps de prendre des cours de chant, je travaille donc avec Yves Sotin en coach et notamment sur mes enregistrements.
Comment évolue votre voix ?
J'ai gagné des aigus, pas forcément en tessiture mais en aisance. Cependant, je descends, on pensait que j'étais baryton-basse, mais maintenant je ne sais pas, je serai peut-être basse chantante. Les Fées du Rhin ont notamment été un déclic. Le rôle de Gottfried est très étendu : moi qui chantais beaucoup sur le métal avec un timbre assez clair, ma voix s'est énormément assombrie depuis un an et demi. C'est donc en réflexion, à voir selon les rôles.
Quel est votre souvenir marquant des Fées du Rhin (notre compte-rendu) ?
Ce qui m'a le plus étonné c'est l'écriture d'Offenbach sur cet opus. L'arrivée de l'orchestre en répétition était une surprise, une révélation : c'est une fosse très fournie. Encore une fois, il ne faut pas forcer, chanter de manière naturelle mais j'ai là encore mis un enregistreur au fond de la salle pour jauger, et ce qui semblait peut-être énorme avec le piano semblait assez monolithique avec orchestre.
Que faut-il changer avec l'orchestre ?
Pour moi (car c'est différent pour chaque chanteur), la chose à laquelle je dois penser c'est de donner plus d'air [soupirs profonds], plus de soupirs, exhaler [exhalements profonds], penser moins au timbre, moins cultiver. Il faut exhaler, il n'y a pas d'autre mot. C'est une chose que j'avais remarquée chez Péter Kálmán, notamment en Bartolo, parfois il timbrait énormément et donnait beaucoup d'impact immédiat. D'un coup, il se mettait à exhaler profondément, il ne paraissait pas très puissant de près mais la voix s'épanouissait dans la salle. L'histoire amusante est qu'il a appris à chanter en se brossant les dents. Il tentait des sons, voyait si ça marchait bien et se lançait sur scène. Il n'a jamais pris de cours de chant.
Quels sont vos projets futurs ?
Des rôles dans d'immenses salles européennes, notamment l'occasion de chanter avec de grands artistes et d'apprendre à leur contact, de voir comment ils gèrent après 20 ans dans ce métier sportif.
Est-ce dans cet esprit que vous avez accepté le rôle du laquais pour Ariane à Naxos en mars au Théâtre des Champs-Élysées (réservations) ?
Exactement. On me l'avait proposé à Aix-en Provence mais j'avais déjà des engagements. Je suis aussi redevable de la fidélité témoignée par Michel Franck, le directeur du TCE. Le laquais est un petit rôle, mais c'est de mon âge et il me permet de découvrir un compositeur, c'est une bonne entrée pour voir si Strauss me convient.
Quels rôles vous attirent ?
Leporello est bien entendu un rôle qui fait beaucoup rêver, comme Philippe II. J'aimerais beaucoup défendre le répertoire français, je voudrais faire un Méphistophélès et le personnage qui me tient le plus à cœur est Don Quichotte.
Travaillez-vous également le russe ?
Tout à fait, j'en chante déjà et j'apprends à le lire. Je dois continuer à travailler. C'est l'un des répertoires qui me plaît le plus (et je suis fan des grands chanteurs russes). Je ne me fais pas d'illusion : je n'en chanterai pas énormément sur scène, mais je souhaite en ajouter à des récitals. Je rêve (mais pas tout de suite) de chanter l'Air du Roi René dans Iolanta. J'ai déjà beaucoup chanté l'Air de Susanin dans Une Vie pour le Tsar de Glinka.
Avez-vous un autre projet qui vous tient particulièrement à cœur ?
Nous avons un duo avec mon épouse Camille Delaforge (claveciniste et pianofortiste qui a beaucoup travaillé avec Nathalie Stutzmann et désormais avec Vincent Dumestre). L'opéra est une voie formidable, mais il est essentiel de conserver une pratique de la mélodie, du Lied, des récitals. Nous avons notamment un projet de disque un peu original sur la thématique du chevalier errant, incluant Don Quichotte et quelques pépites qui permettent aussi de redécouvrir autrement le clavecin.
L'Ensemble Il Caravaggio, Camille Delaforge, Anna Reinhold et Guilhem Worms au Festival de Sablé-sur-Sarthe 2017 :