Quintessentielle Tosca à l’Opéra de Metz-Métropole
Paul-Émile Fourny fait le choix de la sobriété et de la délicatesse pour cette Tosca messine. Le décor, tout en retenue, suffit pour construire l’intrigue. L’intérieur de l’église Sant’Andrea della Valle est symbolisé par un mur de fond en briques grises, soutenu par des colonnes corinthiennes qui, à la fin du premier acte, explosent en une multitude de débris grâce à la conception vidéo de Virgile Koering. Le portrait de Marie-Madeleine qui déclenche la jalousie touchante de Floria Tosca a pour support un fin rideau dont les franges impriment le portrait, rideau derrière lequel Mario Cavaradossi et Floria Tosca s’abritent, ou que Tosca entrouvre, comme si elle fendait le tableau avant d’exiger que le peintre retouche les yeux du portrait. Seuls éléments de travail de Mario, un escabeau et une table à roulettes à deux étages qui abrite le matériel de peinture mais aussi le panier de vivres offert au fuyard Cesare Angelotti.
Nul besoin d’ors ni de tentures lourdes chez Scarpia. Le mobilier, minime et élégant, ressort sur un fond aussi noir que celui du propriétaire. Il suffit de quelques fauteuils, de chandeliers allumés, de couverts raffinés en argent et du bureau de Scarpia pour contenir tout le malaise du deuxième acte. Au moment du meurtre, un crucifix bien visible sur le bureau s’avère renfermer un poignard, arme du crime pour Tosca, coup de poignard dans le dos littéral puisqu’elle attaque Scarpia par l’arrière, au moment où celui-ci achève la rédaction des laissez-passer de Mario et Floria. L’effet est d’autant plus glaçant qu’il faudra à la meurtrière un effort physique pour arracher les papiers de la main du mort.
Au
troisième acte, sur les hauteurs du château Saint-Ange, la mise en
scène respecte la vue imprenable depuis le monument romain en la projetant sur un voile. Au moment des promesses et de la
révélation du stratagème par Tosca, l’échec à venir est
symbolisé par la disparition du voile en un subtil tournoiement.
Mario, tournant le dos à la scène, s’avance vers un décor
mouvant de colonnes et statues grimaçantes projeté en fond de
scène. Le décor verdit, les statues disparaissent, et Cavaradossi
reçoit les balles d’un escadron invisible avant de s’écrouler.
Ce décor mouvant est aussi celui vers lequel se jette Tosca en
entendant les rumeurs qui grondent.
L’inéluctabilité de la mort des quatre personnages principaux est quelque peu adoucie par la présence muette de quatre anges gardiens. En camaïeu de gris jusqu’aux visages, ils accompagnent chaque personnage en se tenant en retrait de la scène. Cette présence est surtout essentielle lorsque le metteur en scène laisse à Tosca l’occasion de fuir rapidement le Palais Farnèse après le meurtre de Scarpia, et de laisser à son ange le soin d’éteindre les chandeliers, là où Franco Zeffirelli faisait durer le calvaire de Maria Callas à Covent Garden.
L’obscurité qui suit la fuite de Tosca est récurrente, le travail sur la lumière de Patrick Méeüs jouant sur les nuances d’un éclairage restreint. Subtilité aussi de mise pour les costumes signés Giovanna Fiorentini. Seule entorse au dix-neuvième siècle, lorsque Scarpia ôte son manteau noir corbeau, il découvre un pantalon de cuir noir. Le noir domine aussi la clique patibulaire du faux dévot, du cache-œil de Spoletta aux chapeaux des sbires. Seules touches de couleur, le portrait de Marie-Madeleine dont le modèle est la marquise Attavanti, sœur de Cesare, et les vêtements de Tosca et Mario. Florian Laconi l’incarne en élégant costume bleu et gris pastel, Francesca Tiburzi porte une longue robe blanche et un manteau rose parme, puis une robe jaune moirée tirant sur le vert olive. Le chœur ecclésiastique revêt voiles blancs et robes de cardinaux, attribuées aussi aux enfants, calotte comprise.
Les
rôles principaux du plateau vocal contrastent par leurs voix
lumineuses avec l’obscurité de la scène. Le
ténor Florian Laconi est un Cavaradossi fougueux. Sa
projection, jamais couverte par l’orchestre, porte des vibratos
chaleureux, dont il pare les airs essentiels de Mario en présence de
Tosca. Confronté à Scarpia, il ajoute les nuances
nécessaires à son timbre pour lui tenir tête, et fend l’air
d’aigus puissants en le défiant sur « Vittoria,
vittoria ». Les graves sont bien assurés pour un ténor,
la voix porte aussi bien les souffrances physiques du peintre loin
des regards, les duos avec Francesca Tiburzi sont fiévreux et
puissants pour chacun.
Cette
Floria Tosca est riche de jeu scénique autant que de puissance
vocale. Toute en nuance, la soprano transcrit le chemin de croix du
personnage en adoptant un timbre d’abord doux et clair dans
l’église, sur « Non la sospiri la nostra casetta »
ou dans ses moments de dévotion. La jalousie grandissant, elle
s’affirme et se renforce avant d’exploser, à bout devant
Scarpia, sur « Non posso più ». Le légendaire
« Vissi d’arte » projette des aigus dramatiques,
une respiration sonore précédant le « così »
final. L’injonction de mort, glaçante, est transcrite par des
graves puisés dans le coffre. Le rire insouciant de Francesca Tiburzi avant que Tosca
ne se rende compte que les balles sont réelles achève un jeu
scénique précis.
Nemesis, le baryton Michele Govi opère un virage radical dans cette maison, lui qui avait réjoui le public de son Don Pasquale la saison précédente. Tout le mauvais augure du costume de Scarpia est décuplé par le timbre, mielleux pour le premier piège de l’éventail tendu à Tosca, aussi bien projeté dans les murmures de ses apartés que dans ses menaces. Les graves, soignés, ordonnent la torture de Mario, les aigus sont volontairement métalliques, reflétant le visage grimaçant et toute la mauvaiseté du personnage. Jusqu’au dernier râle et au dernier soubresaut, Michele Govi ferait même regretter la mort de l’immonde Scarpia et sa disparition de la scène.
Cesare Angelotti, sa première victime, est porté par le baryton Jean-Fernand Setti, au jeu de scène convaincant et à la projection assurée malgré la douleur physique du personnage. Thomas Roediger est un lugubre Sciarrone, son timbre de basse rendant un effet sépulcral et inquiétant, alors que le Spoletta du ténor Scott Emerson, malgré projection et vélocité, peine à convaincre par un timbre quelque peu criard. En Sacristain, Julien Belle apporte une touche comique en tournoyant avec la table à roulettes de Mario. Le grave requis par le rôle est couvert par l’orchestre, mais les mediums sont efficaces, la prière distincte et le timbre assuré sous l’effet de la panique inspirée par Scarpia. La soprano Déborah Salazar est un Pâtre doux et très retenu dans sa projection.
Le Chœur de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole, préparé par Nathalie Marmeuse, est comme à son habitude efficace, puissante congrégation de religieux aux timbres solides, soutenus par un chœur d’enfants prometteur. Constamment à l’écoute des chanteurs, le chef José Miguel Pérez-Sierra adopte des tempi adéquats, apporte des nuances subtiles à l’ensemble comme aux solistes. L’Orchestre maison enveloppe Tosca et Mario de cordes caressantes et onctueuses, soulignant aussi la limpidité du timbre du « Vissi d’arte ». Tous les graves de la fosse résonnent à la première évocation de Scarpia par Cavaradossi. Les percussions se font angoissantes, alors que le solo de clarinette accompagne avec finesse et compassion les derniers instants du peintre.
La longue ovation ponctuée de bravi du public est la conclusion logique de cette Tosca.