La Tosca hugolienne fête son demi-siècle à l’Opéra allemand de Berlin
La mise en scène de Boleslaw Barlog, les costumes et décors de Filippo Sanjust auréolent le drame d’une poésie scénique qui emprunte à l’univers gothique, au romantisme noir, à Notre-Dame de Paris de Victor Hugo. De manière très classique, le changement de décor fidèle aux lieux du livret, rend lisible l’évolution du drame : église Sant’Andrea della Valle, bureau de Scarpia, terrasse du château Saint-Ange (comme la récente production dans son berceau Romain). Les obliques du bâti et les lumières de soupirail accroissent la tension des situations. Le réalisme de la violence est cependant nimbé d’une poussière picturale et de ses pigments empruntés aux palettes en clair-obscur de la gravure et de la peinture romantique (à la Gustave Doré, illustrateur de Victor Hugo). Le vérisme est sublimé et amorti par la référence à la peinture d’histoire et de littérature. L'exécution de Mario Cavaradossi rappelle le Goya du Tres de mayo. La scène de l'interrogatoire est une saisissante épure qui fait écho à la modernité musico-scénique de Puccini.
Les trois protagonistes principaux du drame enchaînent leurs dialogues en duo par des lignes vocales étirées à l’extrême, entre combat et fusion, de l’extase au dégoût. La Tosca de la soprano ukrainienne Liudmyla Monastyrska déroule sa ligne de chant tantôt mince ou puissante, tantôt dense et large. Elle arpente avec une constante aisance les escaliers de ses registres monumentaux. Le souffle porte la ligne charnue comme le cri strident, dans le style (rappelant que Puccini avait été inspiré par l'actrice Sarah Bernhardt, interprétant la pièce de théâtre signée Victorien Sardou). Sa présence physique noble et imposante assure sans faiblir les passages entre profondeur, intériorité, émotion (Vissi d’arte, vissi d’amore) et éruption volcanique, extériorisation (Nel pozzo nel giardino, Questo è il bacio di Tosca), jusqu'à la jalousie, le meurtre, et le suicide.
Face à elle, le baryton italien Lucio Gallo est le Baron Scarpia, « cruel et impitoyable » (comme décrit par le compositeur). Homme en noir, homme noir, il est quasiment neutralisé par le pieux de la croix comme un vampire, assoiffé de femmes et de sang. Le chanteur en a l’aspect glaçant, comme le timbre de forge : marteau contre enclume, mais à l’italienne. Enjôleur comme engeôleur, son instrument est une arme polyvalente à la diction impeccable.
Le tendre peintre Mario Cavaradossi est tenu par le ténor américain Robert Watson. Il a le charme et la simplicité d’un artiste authentiquement épris d’art et d’amour. La voix se pose avec retenue, douceur, caresse, sur un orchestre un peu trop sonore pour lui, lors du premier acte. Il gagne en liberté et en puissance au fil des violences qu'il subit, jusqu’au moment de l’adieu, suspendu entre terre et ciel, jour et nuit : « E lucevan le stelle ».
bande-annonce de 2010 :
Les personnages secondaires, tous masculins, assurent efficacement leurs rôles courts dans cet univers de pouvoir et d’enfermement. Cesare Angelotti surgit avec le baryton-basse sud-coréen Byung Gil Kim. Le grave, de belle couleur, est saisissant d’aisance et de spontanéité. Le Sacristain de Noel Bouley accomplit avec vivacité un rôle quasi-bouffe auquel il prête un grave légèrement atténué par l’orchestre. En Spoletta, le ténor Andrew Dickinson, d’une voix claire, légèrement nasalisée, adopte, en la surjouant, une attitude de soumission apeurée envers son supérieur. Les deux dernières voix graves, Sciarrone (Paull-Anthony Keightley) et le geôlier (Dong-Hwan Lee) finissent, avec leur instrument solide, de creuser la fosse du drame.
En fosse, justement, la cheffe Oksana Lyniv pétrit l’orchestre, sa projection vers la salle et les voix, à leurs mesures. Le chaos surgit dans la continuité moelleuse de la phalange berlinoise et du chœur d’enfants local (préparé par Christian Lindhorst), qui semble déjà rompu à la scène.
Un public mêlant les générations et les tenues applaudit avec enthousiasme cette Tosca à fleur de peau.