King Arthur à Baden Baden : Rule, Britannia!
King Arthur tombe à pic. Entre l’hiver qui met en tête le célébrissime « Air du froid » du semi-opéra de Purcell et l’actualité britannique incertaine sous le feu du Brexit, la version de concert offerte à Baden Baden s’empare de ce bijou baroque avec grâce et humour, tant musicalement que vocalement.
La direction très souple de Paul McCreesh est attentive au moindre geste des musiciens de l’ensemble, du théorbe au basson en passant par les cordes. Ses mouvements exécutent presque le geste des archets, et, enthousiasmé par la partition, il lui arrive aussi d’articuler les paroles de certains des airs les plus entraînants. L’ensemble présente une très belle homogénéité, un ton juste de légèreté, de piquant même, qui fait place à la solennité quand elle est nécessaire. La trompette de Jean-François Madeuf retentit, glorieuse, qu’elle soit cachée dans les hauteurs côté cour, ou visible sur scène. Tel un messager, le trompettiste se déplace comme le plateau vocal évolue, lui aussi, sur scène. Le message est véhiculé par des gestes simples, une légère apposition des mains de Cupidon pour réveiller tout le plateau avachi sur des chaises sur l’air qui réchauffe, « ‘Tis I, that have warmed ye » (C’est moi qui t’ai réchauffé) ou sur «The Cold song », air du froid où le Génie se remet droit sur sa chaise en une gymnastique engourdie et progressive.
Seule entorse à l’anglais, le baryton Roderick Williams se permet d’interpeller en allemand le petit groupe de paysans qui entoure le dieu Comus en lui demandant s’il n’a pas quelque chose de plus amusant à chanter. Les « dumplings » qui doivent brûler dans l’air suivant se parent d’un accent irlandais, le petit groupe se prend par le bras, et de tout le plateau surgissent des drapeaux européens et britanniques, agités avec fougue par les instrumentistes sous les applaudissements du public à la veille d’un Brexit de plus en plus problématique et complexe.
Les visages rayonnants des chanteurs exacerbent le plaisir du chant. Roderick Williams est un Éole aux graves solidement posés, à la diction impeccable. Le ténor James Way possède une fraîcheur de timbre que ses aigus entachent quelque peu par un chevrotement léger, alors que le médium est conforté et lui permet des appuis francs. Autre ténor, Jeremy Budd est solaire et limpide comme « le breuvage qui donne du courage aux Britanniques » (The juice that makes the Britons bold). Très attendue sur l’Air du froid, la basse Ashley Riches travaille tremblements et allitérations et glace littéralement par la puissance de ses graves.
Le plateau féminin resplendit avec les sopranos Rowan Pierce, délicieux Cupidon aux aigus perlés, Anna Dennis, Philidel chaleureuse aux trilles subtils et Mhairi Lawson dont les aigus sont puissants et solides.
De même que Jean de Gand, dans Richard II de Shakespeare, célébrait l’amour de l’Angleterre dans une émouvante tirade, le librettiste John Dryden reprit pour King Arthur la figure de l’île ‘au sceptre’, du joyau puissant et invincible. Les passages patriotiques, magnifiés par le plateau vocal, apporteraient (à distance) du baume au cœur du Royaume en pleine crise du Brexit et ravissent les nombreux anglophones du public.