La Bohème émouvante et épurée en Avignon
Dans leur note d’intention, Frédéric Roels et Claire Servais expliquent vouloir « raconter une histoire humaine avec des êtres humains ». Ils travaillent un espace à l’image de l’Opéra Confluence d’Avignon, théâtre éphémère (durant les travaux du bâtiment historique) : brut, fonctionnel, à l’esthétique simple et non décorative. À l’image également du roman d’Henry Murger, Scènes de la vie de Bohème, qui inspira le livret de l’opéra, la mise en scène veut proposer une lecture de cette fresque historique avec un regard détaché et ainsi adopter un langage scénique distancié, citant même le théâtre épique de Brecht, qui invite le spectateur non seulement à vivre des émotions mais aussi à faire preuve d'un esprit critique par rapport à ce qu'il voit sur scène. Il est également intéressant de lire la note dramaturgique de Frédéric Roels, intellectuelle et poétique, analysant les moindres objets et sentiments présents dans l’œuvre. Malheureusement, il semble difficile d’en saisir l'incarnation sur scène. Certes, le contexte du Paris populaire de 1840 est respecté dans les costumes, mais le jeu d'acteur ne présente pas les particularités de l'approche brechtienne annoncée. Le décor est ce qui se rapproche le plus d’un effet de distanciation, notamment par le rideau de tulle blanc tiré devant la scène entre chaque acte, ou encore par l'estrade de marches et les grandes fenêtres parfois colorées : leur froideur renvoie au contexte glacial de l’histoire, mais il demeure en décalage avec les costumes. Dans cet environnement sobre, les personnages sont fortement mis en évidence. Peut-être paraissent-ils ainsi plus proches du spectateur qui, ne voyant qu'eux, en ressent alors davantage leurs bonheurs et leurs souffrances.
La musique de Puccini demeure cependant intacte et les lumières de Roberto Venturi accompagnent les atmosphères créées par les musiciens de l’Orchestre Régional Avignon-Provence. S’il se montre d’abord très présent, avec des cuivres à la traîne et de petits décalages dans les moments les plus difficiles, l’orchestre fait toujours preuve de riches couleurs, particulièrement lors du sublime acte IV, sous la direction souple et impliquée de Samuel Jean. Le Chœur et la Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon interviennent lors de l’acte II, avec toute l’effervescence nécessaire à ces chœurs de foule.
Le charme de la musique de Puccini nécessite et recueille un investissement expressif autant que de belles qualités vocales. Ludivine Gombert semble certes avoir besoin du premier acte pour chauffer sa voix et donner corps à son personnage de Mimi, mais, à partir de la seconde partie (actes III et IV) elle séduit de son timbre clair, son vibrato maîtrisé, la souplesse de ses phrases et par une interprétation habitée, surtout lors du déchirant acte final. Olivia Doray est à l’image de sa Musetta : lumineuse et captivante. Son agilité vocale, ses aigus rayonnants et sa robe rouge charment sans surprise le public et surtout le peintre Marcello, incarné par Philippe-Nicolas Martin. La voix de celui-ci ne manque ni de caractère ni de couleurs, soutenue par une présence scénique assurée. Le duo de ces deux amants à la fin de l’acte II ne manque pas de puissance, tant vocale qu’expressive.
Annoncé souffrant, Davide Giusti interprète tout de même le poète Rodolfo. S’il reste sur une certaine retenue, manque d’aigus, de puissance et de souffle, particulièrement lors des passages les moins exposés, il réserve son énergie pour ses plus beaux airs, défendus avec vaillance. Enfin, David Ireland a la voix chaude et sombre d'un philosophe (Colline), Boris Grappe le timbre brillant de Schaunard (personnage du musicien).