La bande du Comte Ory repérée à Rouen
Pendant longtemps très discret sur les scènes françaises, Le Comte Ory semble opérer un retour en France : la production signée Denis Podalydès que l’Opéra Comique a proposée il y a un an vient d’être reprise à Liège, et Rouen propose actuellement la version de Pierre-Emmanuel Rousseau, créée à Rennes il y a quelques semaines.
L’exécution musicale se distingue avant tout par l’homogénéité de la distribution. Le Gouverneur (Jean-Vincent Blot) profère ses admonestations d’une voix sombre et les rend intelligibles grâce à une diction très soignée. Les acolytes du Comte Ory sont eux aussi crédibles scéniquement et vocalement : le page Isolier a les traits androgynes de Rachel Kelly, au médium manquant parfois un peu de projection mais à l’aigu radieux et à la technique belcantiste aguerrie. Philippe Estèphe (Raimbaud) parvient, par son chant rigoureux, sa diction très nette, son aisance scénique, à soutenir l’intérêt de son air de l'acte II dont le caractère répétitif, parfaitement justifié dans Le Voyage à Reims (les paroles n'ont aucun sens et ne sont qu'un prétexte pour que Don Profondo puisse imiter différents accents européens), est beaucoup moins pertinent dans l’adaptation de l’œuvre en opéra français (Raimbaud ne fait que citer successivement les salles traversées avant d'atteindre la cave). Le Comte Ory est incarné par Mathias Vidal, crédible en moine lubrique (Pierre-Emmanuel Rousseau le transforme au premier acte en une sorte de gourou en soutane et veste de cuir, obsédé par le sexe et l’argent, usant de l’hypnose pour faire parler et séduire ses victimes) autant qu’en nonne –faussement– apeurée. De toute évidence, le ténor s’amuse beaucoup sur scène. En légère difficulté dans le registre aigu au premier acte, la voix trouve son assise lors du second, proposant un joli panel de nuances et de vocalises extrêmement précises. Toujours compréhensible y compris dans les passages virtuoses, il sait passer ses aigus en voix mixte ou en voix de tête, plus fidèle en cela à une tradition du chant propre au répertoire français de l’époque.
La gente féminine, censée résister au charme et aux assauts du faux moine (mais vrai libertin), est elle aussi dignement représentée : la Dame Ragonde d’Anna Steiger est un peu courte d’aigu mais aussi présente que drôle. La Comtesse Adèle, délicieusement frustrée et légèrement nymphomane au premier acte, outrée mais pas trop (et même de moins en moins) au second, est incarnée par l’étonnante Perrine Madoeuf : son implication scénique, ses accents enflammés, impeccablement virtuoses, chantés d’une voix longue et très homogène, devraient dorénavant continuer à être mis au service de rôles de premier plan.
Le plan machiavélique mis en œuvre par Ory a cette fois-ci été planifié par le metteur en scène Pierre-Emmanuel Rousseau et dirigé par le chef Luciano Acocella. Après Les Fées du Rhin à Tours et Le Barbier de Séville à Strasbourg et Saint-Étienne, Pierre-Emmanuel Rousseau signe ici une transposition dans les années 1950 de l’œuvre pourtant profondément ancrée dans le Moyen Âge. Les décors et les costumes (qu’il signe également) régalent l’œil et la direction d’acteurs est précise. Certaines idées sont par ailleurs originales et séduisantes : Adèle présentée comme une femme prête à succomber aux charmes de son séducteur, finalement triste et déçue à l’annonce du retour des soldats, le rappel du contexte médiéval par quelques éléments de décor (les fenêtres en ogive de l’hôtel), le portrait de Catherine II, femme de pouvoir… et de luxure.
Luciano Acocella, à la tête de l'Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie riche en couleurs, d’un chœur impliqué et précis (Chœur accentus / Opéra de Rouen Normandie), dirige avec légèreté tout en maintenant la tension dramatique, gomme ce qui peut s’avérer parfois un peu lourd (l’introduction du premier acte) et met en valeur certains détails de l’orchestre (l’accompagnement, par les vents notamment, du duo entre Adèle et le Comte à l’acte II).
Le Comte Ory, nullement découragé par son échec auprès de la Comtesse Adèle, renouvellera ses méfaits très prochainement, toujours à l'Opéra de Rouen : les 24 et 26 janvier prochains (réservations).