Reprise Classique de La Traviata à Londres
La production de La Traviata de Verdi par Richard Eyre a rarement été absente à Covent Garden au cours du dernier quart de siècle et il semble aisé de comprendre pourquoi. Les quatre scènes d'Eyre -la fête de Violetta, la maison de campagne d'Alfredo et Violetta, la fête du jeu de Flora et la scène finale dans l'appartement parisien de Violetta- déploient toutes des textures et des couleurs somptueuses, d'une manière qui plaît même aux goûts les plus traditionnels. Des ors tamisés caractérisent le premier acte autant que les rouges feutrés ornent la deuxième scène de l'acte deux, tandis que le début du même acte -malgré ses échanges tragiques entre Violetta et Germont- bénéficie d'un bleu bucolique et frais qui contraste avec le luxe parisien des fêtes.
La production donne toute leur place aux chanteurs et le public londonien n'est pas déçu. Ermonela Jaho offre une performance étonnante à tous points de vue. Sa voix est riche dans le registre grave ("Amami, Alfredo" dans le deuxième acte, par exemple) et brillante dans le registre aigu ("Sempre libera" dans le premier). Mais ce qui emporte l'affection du public londonien, c'est le pianissimo au sommet de son registre, et une interprétation de "Teneste la promessa" où le chant semble planer sur le bord du néant. Jaho donne une interprétation dramatique qui correspond pleinement aux exigences du rôle, du flirt hédoniste initial jusqu'au désespoir nourri, final.
Charles Castronovo est fort assuré dans le rôle d'Alfredo et capture le personnage vacillant qui trouve une forme de rédemption dans l'acte final. À son meilleur au milieu de sa tessiture mais manquant quelque peu de souplesse sur son sommet, il offre à Jaho un partenaire d'exception dans tous leurs ensembles avec une expression contrôlée et judicieuse. Leur brindisi "Libiamo ne’ lieti calici" déploie leur forme vocale, mais, comme Jaho, Castronovo paraît à son meilleur au dernier acte, dans les remords étouffés d'une pitié pour soi-même.
Il y a beaucoup à savourer dans l'interprétation d'Igor Golovatenko en Giorgio Germont. La caractérisation du librettiste Piave parfois unidimensionnelle du rôle est un défi, mais Golovatenko y donne une couleur superbement neutre, presque sans passion dans l'acte II et un beau-père aux remords convaincants à la fin de l'acte III. La voix du baryton est contrôlée dans toutes les parties de la gamme, offrant un contrepoids pour Jaho.
Aigul Akhmetshina incarne avec élégance Flora Bervoix, rappelant qu'elle est un rôle clé dans le deuxième acte. Germán Enrique Alcántara dans le rôle encore plus petit du Baron Douphol parvient à donner le sentiment de frustration affective (et même de déception sexuelle) que ce rôle semble exiger. Akhmetshina et Alcántara participent tous deux au Programme des jeunes artistes Jette Parker du Royal Opera House. La servante de Violetta, Annina, l'accompagne tout au long de l'action et tient un rôle important dans le drame des deux derniers actes, notamment grâce à la prestation de l'Australienne Catherine Carby : puissante dans son silence aux côtés du Docteur Grenvil (bien campé par Simon Shibambu) dans la scène finale, mais très active et professionnelle dans ses affaires domestiques dans l'acte deux. Le néo-zélandais Thomas Atkins joue comme il chante Gastone de Letorières (avec une couleur à la Britten dont il interprétera Le Songe d'une nuit d'été à Montpellier en mai), tandis que Jeremy White -qui est à Covent Garden depuis plus longtemps que cette production- offre un Marquis d'Obigny à la fois assuré et faire-valoir de Flora.
Le maestro Antonello Manacorda rend une version attentive de la partition, davantage encore dans la musique de danse et les scènes de bal, avec toutefois une attention subtile pour les épisodes plus nuancés de l'opéra. Faisant ses débuts à Covent Garden après avoir travaillé à Munich et à Francfort, il séduit l'auditoire par l'élégance de son travail et tire parti de l'Orchestre du Royal Opera House, notamment dans les mémorables soli des bois.