Domingo et Verdi : deux maîtres pour un Gala sur mesure à la Philharmonie
La soirée, intitulée d'une manière convenue : « Gala Verdi. Plácido Domingo », met à l'honneur le compositeur exceptionnel et prolixe, ayant dominé l’opéra italien de son vivant jusqu'à nos jours par la richesse de son orchestration et la virtuosité de ses compositions vocales, ainsi que son interprète à la longévité déconcertante, connaisseur intime du chant verdien, voix reconnaissable entre toutes. Divisé en deux parties équilibrées (six extraits à chaque fois), le programme propose des airs et duos (ainsi qu'un trio extrait de Luisa Miller en clôture de première partie) soigneusement choisis, balayant toute la carrière du compositeur italien, de ses opéras de jeunesse (Attila) à ceux de la maturité (Don Carlos) en passant par ses compositions les plus populaires (La Traviata, Le Trouvère). Il oscille également entre des passages célèbres comme le grand air de Violetta (La Traviata) et d’autres, moins connus du grand public, comme le duo entre Monforte et Arrigo (Les Vêpres siciliennes) d’une grande intensité dramatique. Cette diversité évitant l’ennui permet aux spectateurs d’apprécier toute la richesse et l’évolution de l’écriture verdienne tandis que la distribution équitable des morceaux donne l’occasion de briller à chacun des chanteurs (contrairement au titre accrocheur du gala).
Irina Lungu (à découvrir ici en interview), seule chanteuse de la soirée, fait son entrée dans une robe bleu ciel, buste et boucles d’oreille scintillants, manches bouffantes, pour s’attaquer à un air redoutable "Merce, dilette amiche" (Les Vêpres siciliennes). À l’image de sa tenue, sa voix est aérienne, son timbre rond et fruité. Si le son est parfois un peu nasal et si des soucis de souffle sont perceptibles tout au long de la soirée, l'engagement -physique et vocal- est entier. Le public ne s’y trompe pas et applaudit chaleureusement sa Traviata incandescente lors de la deuxième partie de la soirée, avant de conquérir la salle par son bis "O mio babbino caro". Cette générosité a toutefois un coût : un vibrato qui envahit peu à peu le haut médium et un contre-mi certes présent mais dur et lancé avec violence.
Le ténor mexicain Arturo Chacon-Cruz, lauréat en 2005 d'Operalia (le concours de Plácido Domingo qui avait également récompensé Irina Lungu d'un prix spécial l'année précédente), a pour lui une longueur de souffle surprenante, une voix aux aigus puissants et rayonnants dont il n’est pas avare, qui ne font cependant pas oublier un medium peu sonore par moments, aux voyelles parfois trop ouvertes. L’artiste émeut par sa franchise : sans être trop subtil, son jeu honnête séduit d’emblée, servi par une diction remarquable. Il impressionne par la facilité avec laquelle il fait siens certains des airs redoutables : peu de ténors sans doute sont capables de commencer avec "Ma se m’è forza perderti" (Un Bal masqué) qui exige longueur des phrases, largeur de l’ambitus, tension dans le registre aigu, entre autres. L’émotion du chanteur est perceptible lors de ses duos avec Plácido Domingo, qui offrent une belle image, s’il en est, du travail de transmission effectué par le maître.
La basse Rafal Siwek dispose d'une voix au grain noir immédiatement séduisante mais qui reste un peu sourde, couverte par un orchestre pourtant attentif à ne pas jouer trop fort. Les graves notamment sont ternes et moins sonores que ceux de Domingo lors de l’affrontement musclé entre le roi Philippe II et le marquis de Posa (Don Carlo). Néanmoins, il se sert avec intelligence de sa haute stature et d’une certaine noblesse de port pour donner vie à ses personnages. Si son jeu peut paraître un peu introverti, il n'est pas dénué d’une charge émotive et subtile.
Enfin, Plácido Domingo porte cette soirée d'une voix éclatante, étonnamment puissante et homogène. L’ex-ténor semble naturellement baryton : souffle intarissable, conduite de phrases, justesse de l’interprétation et dévotion pour ce qu’il offre au public. Il sait se servir des nuances et de l’expression pour conduire son chant sans se fatiguer offrant en cela un nouvel exemple à ses jeunes collègues, avec une sensation de solidité et de fermeté remarquables pour son âge. Mais ce qui frappe peut-être encore davantage, c’est cette impression d’une véritable compréhension intime de l’œuvre et du chant que demande Verdi.
La soirée mérite en cela son titre de Gala, comme l’illustration
d’une relation particulière entre un interprète et une œuvre,
mais aussi de sa générosité envers les générations à venir et
le public. La gentillesse et la bienveillance portée à tous les
participants du spectacle trouvent une ultime illustration exemplaire
lorsqu'il offre son bouquet au premier violon lors des saluts.