Délicieuse soirée baroque au TCE avec Sandrine Piau et le KOB
Sandrine Piau aime
passionnément faire découvrir au public des “œuvres injustement
oubliées”. Pour ce récital, la soprano, le Kammerorchester Basel et le musicologue Giovanni Andrea Sechi réunissent cinq compositeurs : Giuseppe Torelli, Leonardo Leo, Nicola Porpora,
Johann Adolf Hasse et le plus que célèbre Georg Friedrich Haendel. Sans être tous de
nationalité italienne, ils sont pourtant représentatifs de la
musique transalpine de la fin du XVIIe et début du XVIIIe siècle. Intelligemment
construit, alternant concerto grosso, sinfonia et aria (avec solistes instrumentaux, sans soliste, avec soliste vocal), le programme est consacré aux héroïnes tragiques et "méchantes" (comme le souligne avec humour Sandrine Piau en fin de
concert). Les registres des airs sont toutefois très différents les uns
des autres, passant de la colère au désespoir, jusqu'à la
tendresse, ou encore la supplication. La soprano peint ce tableau
avec éclat, dans une robe rouge flamboyante qui non seulement la
démarque visuellement de l'orchestre, mais sied aussi à merveille
aux héroïnes baroques mais éternelles.
L'Orchestre de chambre de Bâle, en formation réduite (de 15 à 20 musiciens) est dirigé par la violon solo Anna Katharina Schreiber. Le fait de jouer debout, pour un orchestre de chambre, donne immanquablement une grande impression d'énergie et d'engagement de la part des musiciens. Du cor au basson, du théorbe à la viole, ces instrumentistes font revivre des pièces vieilles de 200 ans presque comme si c'était du rock'n'roll. Le claveciniste, notamment, est un vrai spectacle à admirer : constamment souriant, presque sautillant sur son tabouret, visiblement ravi, son plaisir de jouer est contagieux (à côté de lui, le théorbiste n'est pas en reste). La direction de Schreiber marie la subtilité à l'intelligence et les musiciens semblent sincèrement ravis de travailler avec elle. Elle montre également dans les deux Concertos de Torelli une volonté de servir la musique avant tout.
La soprano française Sandrine Piau se mêle avec un plaisir visible et un talent certain à l'orchestre de chambre. Elle incarne ce florilège d'héroïnes avec sobriété et sincérité. Ses couleurs sont multiples et chacune de ses cadences lui offre l'occasion d'égrener des aigus cristallins savamment amenés. Son timbre toujours intact et au métal percutant se déploie avec facilité, sagesse dans l'ornementation, élégance et justesse d'interprétation. Dans le seul récitatif du récital, Sandrine Piau confirme (s'il le fallait encore) son talent de tragédienne et clôt le programme avec le déchirant “Ah, crudel” extrait du Rinaldo de Haendel. Mais le public réclame son retour et elle cède aux appels avec deux bis, de Haendel également, dont, pour “finir sur un moment de douceur” comme elle le dit si bien, la mort d'Acis “Verso giá l'alma col sangue”, toute de délicatesse. L'émotion qui étreint le Théâtre des Champs-Élysées est palpable et, sous les applaudissements fournis, la chanteuse revient en s'excusant presque de ne pas avoir préparé d'autre bis, pour faire ses adieux forcés au public conquis (qui pourra la retrouver dans cette même salle en compagnie de Tim Mead le 17 avril : réservations). La chanteuse reprendra ce même programme aux Sommets musicaux de Gstaad ce 25 janvier.
Rendez-vous dans quelques jours sur Ôlyrix pour découvrir notre interview de Sandrine Piau à l'occasion de sa double nomination aux Victoires de la Musique Classique 2019 et de ses prestigieux projets.