Netrebko, Rachvelishvili et Beczala brillent avec Adriana Lecouvreur en direct du Met
L’argument
historique (détaillé ici)
retrace la rivalité amoureuse qui opposa la célèbre actrice de la
Comédie-Française Adrienne Lecouvreur (elle en devint la 80ème
sociétaire en 1717) à la Duchesse de Bouillon, à cause de l’amour
qu’elles portèrent simultanément à Maurice de Saxe. Initialement
adaptée au théâtre par Eugène Scribe, l’intrigue, qui mêle
drame, amour, politique et dont la fin tragique
(l’empoisonnement d’Adriana) est supposée réelle, séduira ensuite
le librettiste Arturo Colautti qui signe le texte de l’opéra.
Le metteur en scène écossais David McVicar respecte la temporalité historique en proposant une mise en espace efficace et soignée (créée en 2010 à Londres et dont nous rendions compte à Paris en 2015). Sublimés par les somptueux costumes XVIIIème de Brigitte Reiffenstuel, les chanteurs évoluent dans des décors riches mais pas surchargés, passant des coulisses du théâtre au pavillon et à la salle de réception du Prince de Bouillon.
Un principe de mise en abyme opère à plusieurs reprises, à l’acte I notamment quand Adriana interprète le rôle de Roxane du Bajazet de Racine sur une scène surplombant les coulisses. La fluidité du dispositif (la scène de bois tourne, dévoilant tantôt le fond de la scène ou le côté) appuie l’intention dramatique du personnage de Michonnet lorsqu’il s’émerveille de l’interprétation d’Adriana depuis les coulisses. Plus classique, au deuxième acte, la pièce dans laquelle la Princesse de Bouillon accueille Maurice de Saxe est plongée dans la pénombre d’où émergent les lueurs de quelques bougies. Peu après, c’est dans une pénombre bleutée créée par Adam Silverman, qu’Adriana et la Princesse vont se découvrir rivales sans parvenir à se voir distinctement l’une et l’autre. La scène se révèle d’une grande intensité ainsi nappée d’une lumière surnaturelle. Dans la salle de réception du Prince de Bouillon à l’acte III, un petit théâtre est installé face au public, qu’il soit sur scène ou dans la salle. Une tension froide s’installe entre les deux rivales s’étant tout juste reconnues durant la scène du ballet, ici volontairement kitsch (chorégraphiée par Andrew George) avant que n’éclate la colère de la Princesse et qu’Adriana ne déclame un extrait du monologue de Phèdre depuis la scène, dénonçant à sa manière l’adultère de la Princesse.
Beaucoup plus sombre, le quatrième acte dépeint déjà esthétiquement l’état d’esprit d’Adriana avant même qu’elle n’apparaisse en scène. Désespérée et jalouse, c’est dans ce décor qu’elle ouvrira le coffret contenant les violettes empoisonnées envoyées par sa rivale et qu’elle croit de Maurice. Alors que celui-ci arrive pour lui réaffirmer son amour, la comédienne finit par succomber tandis que les comédiens de la troupe lui rendent un dernier hommage en la saluant depuis la scène.
À la baguette, le chef Gianandrea Noseda magnifie la partition, dévoilant de nombreux détails et se trouvant aussi généreux dans les passages les plus énergiques (début du premier acte) que dans les moments les plus poignants (prélude du quatrième acte). Jouant sur les contrastes dramatiques de l’œuvre, sa direction est saluée par le public dès sa remontée vers le pupitre après le premier entracte et le sera ensuite de plus en plus vigoureusement jusqu’à une ovation à la fin de la soirée.
Dans son rôle mesquin de l’abbé de Chazeuil, le ténor Carlo Bosi se trouve parfaitement à l’aise. Son timbre parfois acide sert le personnage et le chanteur s’amuse à composer un caractère très perfide. Grâce à une présence autoritaire, le Prince de Bouillon de Maurizio Muraro forme avec lui un très ample duo. Ambrogio Maestri est l’interprète de Michonnet, le régisseur du théâtre secrètement amoureux d’Adriana. Très touchant dans le rôle, le chanteur est investit et la voix prend des accents très tendres pour évoquer son amour impossible.
Mais c’est avant tout la qualité de la distribution du triangle amoureux qui triomphe dans cette production. Avec en premier lieu l’interprétation de Maurice de Saxe par Piotr Beczala. Voix éclatante dès les premiers accents et son air d’entrée "La dolcissima effigie", il ne souffre d’aucune faiblesse durant toute la représentation. Le timbre et l’allure élégants, le phrasé souple, les aigus percutants, il campe un Maurizio énergique et toujours juste.
Dès le début du deuxième acte avec un "Acerba voluttà" d’une intensité remarquée, Anita Rachvelishvili s’impose comme une rivale très dangereuse. Le registre grave déployé avec force et maîtrise est tout aussi audible que les aigus, parfaitement soutenus par une technique impeccable et une continuelle maîtrise du souffle.
Enfin, face à elle, l’Adriana Lecouvreur d’Anna Netrebko ne montre pas moins d’intensité dans son chant. Son tube, "Io son l’umile ancella" très incarné, est particulièrement émouvant, le timbre sombre de la voix créant un contraste particulier avec les aigus piani et suspendus. Elle confère en outre une maturité intéressante au personnage et le duo de l’acte II avec Anita Rachvelishvili, où les deux voix profondes se mêlent tout en se différenciant est l'un des sommets de la soirée.