Arabella, Harteros et Volle triomphent au TCE
Ce soir, aucun pupitre n’est prévu à l’avant-scène de cette version concertante d’Arabella de Strauss. Et pour cause : l’ensemble de la distribution présentée ce vendredi 11 janvier 2019 au Théâtre des Champs-Elysées entamera à partir du 14 une reprise de l’œuvre dans sa mise en scène d’Andreas Dresen à l’Opéra d’État de Bavière (dont nous vous rendions compte la saison passée). Point de partition, donc, mais une mise en espace permettant au public de plonger totalement avec les artistes dans la poésie d’Hugo von Hofmannsthal, auteur du livret. Pour l’occasion, ce sont les forces vives de l’institution munichoise qui officient sous la baguette experte (il dirige les reprises de la production depuis 2016) de Constantin Trinks, dont la recherche esthétique, déjà présente dans son ample et gracieuse gestique, se traduit également dans l’expressionnisme des couleurs qu’il tire de sa phalange.
En tête d’affiche, une Anja Harteros à la vitalité juvénile interprète le rôle-titre, offrant un large spectre d’intentions théâtrales (mais seulement des demi-nuances) : la froideur, la timidité, la séduction, la coquetterie, l’affliction, la tendresse. Sa voix est intensément couverte, son vibrato, parfaite sinusoïde, dévoile sa rondeur en de longs phrasés. Les derniers instants de l’œuvre, délicats et frissonnants, font partie des moments de grâce de la soirée.
Mandryka de référence (il avait interprété le rôle lors de la dernière reprise de l’œuvre à Bastille), Michael Volle (à découvrir in loco en récital - réservation ici) dispose d’un timbre doux, profond et coloré dans la première partie, qui se fait fielleux et grinçant ensuite, lorsque son personnage est pris de jalousie. La voix est puissante, l’interprétation nuancée et accentuée : la noble personnalité du personnage est parfaitement rendue, tant dans sa voix que dans son jeu scénique (y compris lorsqu’il danse).
Hanna-Elisabeth Müller est un nom à retenir (et à ajouter à vos favoris Ôlyrix pour ne rien manquer de son actualité) pour le public français : il s’agissait en effet de ses débuts en France. Dans le rôle de Zdenka, la soprano allemande brille par le velours de son timbre, la finesse de son vibrato et la rondeur de ses aigus. Elle offre de belles envolées, nuancées, avec un sourire charmant. Daniel Behle en Matteo expose une voix vaillante et structurée, au timbre dur et doré. Son phrasé volontaire offre un découpage tranchant des syllabes et de subtiles nuances, notamment une jolie messa di vocce (crescendo puis decrescendo sur une même note tenue). Il pourrait cependant incorporer plus de théâtre à son interprétation.
Kurt Rydl s’amuse dans le rôle du Comte Waldner, pimpant père vénal. Sa voix tonnante ou caressante maintient un timbre clair dans l’ensemble des registres (avec un aigu particulièrement riche). Son phrasé peine toutefois à s’adapter à la légèreté de l’orchestre et son manque de nuances tend à déséquilibrer les ensembles. À ses côtés, Doris Soffel est une Adelaïde engagée scéniquement, dont le timbre est clair mais acide dans l’aigu et braisé dans le grave.
Parmi les prétendants, Dean Power est un Comte Elemer à la voix chaude et au phrasé affirmé. Les consonnes sont toutefois peu appuyées et l’ensemble manque de volume. Sean Michael Plumb est un fier Comte Dominik, au timbre charmant et à la voix puissante. Bien connu du public du TCE, Callum Thorpe chante Lamoral de son timbre ténébreux et brillant.
Sofia Fomina gazouille le rôle de Fiakermilli, s’épanouissant dans de minaudantes et agiles vocalises. Son timbre très pur vibre légèrement, avec rapidité et délicatesse. Enfin, Heike Grötzinger est une Diseuse de bonne aventure à la voix incisive et puissante, sur un vibrato prononcé.
Finalement, l’enthousiaste public du Théâtre des Champs-Élysées fait un triomphe à l’ensemble des artistes munichois, qui paraissent fin prêts pour leur Première bavaroise lundi.